Si des élus américains s’inquiètent des prix élevés du bois d’œuvre, Washington voit les choses d’un autre œil en proposant de doubler les tarifs imposés aux producteurs canadiens qui exportent au sud de la frontière.

Dans une décision qui a surpris l’industrie québécoise et qui s’est attiré les critiques du gouvernement Trudeau, le département américain du Commerce a proposé, vendredi, un taux préliminaire combiné de 18,32 % pour les droits compensateurs et antidumping sur les exportations canadiennes. Le tarif est actuellement de 8,99 %.

« C’est significatif comme calcul et c’est nettement plus élevé que ce que nous avions estimé », a dénoncé le président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), Jean-François Samray.

On s’attend à voir le gouvernement fédéral intervenir pour régler le dossier de manière satisfaisante.

Jean-François Samray, président-directeur général du Conseil de l’industrie forestière du Québec

Plus précisément, en moyenne, les droits antidumping passeraient de 1,57 % à 12,05 %, tandis que les droits compensateurs fléchiraient légèrement, pour s’établir à 6,27 %.

Il s’agit du deuxième examen du genre mené par le département du Commerce depuis 2017, alors que les entreprises canadiennes ont recommencé à faire l’objet de tarifs dans le cadre du plus récent épisode de la dispute canado-américaine sur le bois d’œuvre.

Ces taux ne s’appliqueront pas immédiatement puisqu’ils feront l’objet d’une analyse approfondie au cours des prochains mois. Une décision définitive sera prise avant le mois de novembre.

« Cette décision est totalement injustifiée », a fait valoir la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international du Canada, Mary Ng, dans une déclaration. « Nous continuerons à contester ces droits de douane injustifiés par tous les moyens possibles. Nous demeurons convaincus qu’une solution négociée […] est non seulement possible, mais [aussi] dans l’intérêt de nos deux pays. »

L’industrie américaine plaide continuellement que les gouvernements provinciaux subventionnent injustement les scieries d’ici, qui transforment, par exemple, le bois en 2 x 4, par l’entremise de droits de coupes trop bas. Aux yeux du lobby américain, cela constitue une forme de concurrence déloyale. À maintes reprises depuis les années 1980, le Canada a eu gain de cause devant les tribunaux commerciaux.

Et pour certains producteurs ayant fait l’objet d’une analyse distincte, comme Produits forestiers Résolu, les tarifs risquent d’être encore plus élevés. Washington propose qu’ils atteignent 30,22 %, soit une augmentation de huit points de pourcentage.

« Il n’y a aucune justification derrière cette augmentation », a déploré le porte-parole de Résolu, Louis Bouchard, au cours d’un entretien téléphonique. « Nous avons 275 millions de dollars US immobilisés en tarifs aux États-Unis depuis mai 2017. Ce sont des liquidités que nous n’avons pas et qui nous empêchent d’investir. »

Une hausse malgré un appel à l’administration Biden

Cette nouvelle proposition du département du Commerce survient au moment où environ une centaine de membres du Congrès – des démocrates et des républicains – ont décidé d’y aller d’un front commun afin d’interpeller la représentante américaine au Commerce Katherine Tai à propos de la dispute canado-américaine sur le bois d’œuvre.

Dans leur missive datée du 17 mai et que La Presse avait obtenue, ceux-ci invitaient l’administration Biden à faire en sorte que les choses bougent.

La situation actuelle a provoqué une explosion de la demande et une pénurie à l’échelle nationale. Notre économie éprouve des difficultés lorsque les entreprises sont [aux prises avec] de l’incertitude.

Extrait d'une lettre d'élus américains

Depuis le début de la crise sanitaire, les prix du bois d’œuvre ont plus que triplé, soulignaient les élus. Cela a contribué à faire grimper de 18 %, sur une base annualisée, l’indice des prix relatifs des logements aux États-Unis, déploraient-ils.

Selon l’indice Pribec CIFQ, à la mi-mai, le prix était de 1872 $ par mille pieds-planches. Ce prix de référence était d’environ 535 $ à la même période l’an dernier. En octobre dernier, il se situait à 877,63 $.

Si le prix du bois d’œuvre ne devait pas demeurer aux niveaux actuels, il ne devrait pas retourner de sitôt à son niveau d’avant la pandémie, avait indiqué le CIFQ, en avril dernier. Au cours de la dernière année, le prix a souvent oscillé aux alentours de 450 $ par mille pieds-planches.

L’appétit pour ce matériau essentiel à la construction de maisons pourrait également s’ajuster. En avril dernier, aux États-Unis, les mises en chantier de résidences et de nouveaux logements ont chuté de 9,5 %, pour atteindre un taux annuel désaisonnalisé de 1569 millions, sous les attentes des économistes.