(Ottawa) Le Canada met les États-Unis en garde. Alors que le Sénat américain se penche sur un projet de loi proposant un crédit d’impôt à l’achat de véhicules zéro émission assemblés au sud de la frontière, le gouvernement Trudeau prévient qu’il s’apprête à publier une liste de produits américains qui pourraient être frappés de tarifs douaniers.

Le gouvernement canadien est aussi prêt à engager une procédure de règlement des différends en vertu de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, ont signalé dans une lettre envoyée à des législateurs de premier plan du Sénat américain la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, et la ministre du Commerce international, Mary Ng.

Le Canada ne veut pas s’engager « sur la voie de la confrontation », car ce « n’est pas sur cela qu’est fondée la relation entre nos deux pays », font-elles valoir. Mais le ton de la missive datée du 10 décembre n’est pas exactement léger. Les ministres y énoncent une série d’actions que le gouvernement canadien pourrait mettre en œuvre pour se battre contre ce qu’elles qualifient de « dispositions discriminatoires ».

L’enjeu au cœur de cette démarche est ce crédit d’impôt pouvant atteindre 12 500 $ que souhaite offrir le président des États-Unis, Joe Biden, à l’achat de véhicules zéro émission assemblés aux États-Unis. Les dispositions qui indisposent le Canada sont contenues dans le projet de loi Build Back Better, qui a été récemment approuvé à la Chambre des représentants, et qui est dans le camp du Sénat.

Certaines dispositions de la mesure législative mammouth vont « à l’encontre des obligations des États-Unis aux termes de l’Accord », elles équivalent « à un tarif de 34 % sur les véhicules électriques assemblés au Canada » et elles « constituent une menace importante pour l’industrie automobile canadienne ainsi qu’une abrogation de facto de l’Accord », soulignent Mmes Freeland et Ng.

Et donc, dans ce dossier comme dans celui des tarifs punitifs dont la précédente administration de Donald Trump avait frappé les produits canadiens de l’acier et de l’aluminium, le gouvernement Trudeau « défendra ses intérêts nationaux », ajoutent-elles dans la lettre, notamment adressée aux chefs des camps démocrate et républicain au Sénat, Chuck Schumer et Mitch McConnell, respectivement.

« Nous nous préparons à publier au cours des prochains jours une liste de produits américains qui pourraient faire l’objet de tarifs douaniers canadiens si cette question n’est pas résolue de manière satisfaisante. Les mesures de rétorsion que nous proposons s’étendront à d’autres secteurs que celui de l’automobile », ont ainsi averti les ministres.

Les entreprises et les travailleurs américains qui seraient visés seraient « clairement indiqu[és] ».

Autres menaces

Le Canada n’aurait aussi « d’autre choix » que d’engager « une procédure de règlement des différends en vertu de l’Accord et en appliquant des tarifs sur les exportations américaines d’une manière qui aura des répercussions sur les travailleurs américains du secteur de l’automobile et de plusieurs autres secteurs de l’économie américaine », ont ajouté les auteures de la lettre.

Elles enchaînent avec une autre menace, notamment « suspendre les contingents tarifaires pour les produits laitiers fixés par l’Accord et reporter la mise en œuvre des modifications aux droits d’auteur prévues par l’Accord ».

Lors de son passage à Washington dans le cadre du sommet des Trois Amigos, le 18 novembre dernier, Justin Trudeau a fait de ce crédit d’impôt le principal enjeu de son entretien avec Joe Biden dans le bureau Ovale.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s’est rendu à Washington le 18 novembre pour participer au sommet des Trois Amigos.

Il est cependant revenu les mains vides.

Et dans le camp américain, on ne partage pas la lecture commerciale d’Ottawa en ce qui a trait à une possible violation du pacte trilatéral. « Nous ne le voyons pas comme ça », a signalé la porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, peu après la rencontre entre le premier ministre Trudeau et son homologue américain.

La lettre des ministres Freeland et Ng a également été envoyée au sénateur de la Virginie-Occidentale, Joe Manchin, démocrate modéré dont le vote est considéré comme décisif au Sénat, qui compte 50 républicains et autant de démocrates. Proche des secteurs pétroliers et gaziers, qui ont financé sa dernière campagne à coup de centaines de milliers de dollars, il a déjà exprimé des doutes quant à la proposition de crédit d’impôt.