Avec la rentrée et le retour graduel à la normale dans tous les secteurs d’activité, la demande d’essence a augmenté, et les prix à la pompe repartent à la hausse. Une hausse durable ou passagère ? Les paris sont ouverts.

Mercredi, le prix d’un litre d’essence ordinaire a franchi le cap des 1,50 $ à Montréal, ce qu’on n’avait pas vu depuis 2018. « C’est un retour à ce qui existait avant la pandémie et ça n’a encore rien de catastrophique pour les consommateurs », indique Mathieu D’Anjou, économiste chez Desjardins.

En fait, de nombreuses stations-service à Montréal et ailleurs affichent un prix inférieur à 1,50 $, un prix « réaliste » selon CAA-Québec qui surveille quotidiennement l’évolution des prix à la pompe. Pour Montréal, le prix moyen affiché de 148,7 cents est jugé correct parce qu’il reflète le coût d’acquisition actuel de 1,42 $ et la marge moyenne de 6,2 cents des 52 dernières semaines des détaillants.

Les automobilistes, qui ont profité pendant plusieurs mois des prix déprimés, font face à une nouvelle réalité.

Le prix du brut se redresse

L’économie mondiale a repris sa progression, l’été dernier, après la période d’incertitude liée à l’impact du variant Delta. Le transport aérien, entre autres, a repris. Cette progression rapide arrive alors que l’offre de pétrole n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant la pandémie, ce qui pousse le prix du pétrole brut à la hausse.

Le Brent a franchi cette semaine la barre des 80 $ US le baril, et le WTI s’en est rapproché, à 79 $ US et des poussières. Pour les deux catégories de brut les plus négociées, il s’agit d’un sommet depuis 2014.

La demande mondiale de pétrole se rapproche maintenant de ce qu’elle était avant la pandémie, soit autour de 100 millions de barils par jour.

La crise énergétique qui frappe l’Europe, qui craint de ne pas avoir suffisamment de gaz naturel pour passer l’hiver, accentue la pression sur le prix des énergies de substitution, dont le pétrole.

L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), de son côté, hésite à augmenter sa production à son niveau d’avant la pandémie. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande favorise les producteurs, qui sortent d’une longue période de vaches maigres attribuable à la pandémie.

Pour toutes ces raisons, bon nombre d’analystes voient le prix du brut continuer son ascension et atteindre les 100 $ US le baril, selon Bloomberg, et même au-delà de ce seuil si l’hiver est rigoureux.

Bons ou mauvais pour l’économie ?

Le Canada est un pays producteur de pétrole, et le brut est son principal produit d’exportation. Toute augmentation du prix du pétrole est donc positive pour l’économie canadienne, même si elle déplaît aux consommateurs d’essence.

En principe, la hausse du prix du brut augmente la valeur des exportations canadiennes et stimule les investissements liés au secteur pétrolier.

L’augmentation des prix à la pompe alimente toutefois l’Indice des prix à la consommation et les risques que fait peser l’inflation sur la reprise post-pandémique. Entre août 2020 et août 2021, le prix de l’essence a augmenté de 32,5 %, selon Statistique Canada.

À 4,1 %, l’inflation croît actuellement à un rythme jamais vu depuis mars 2003. Sans l’essence, le taux annuel d’inflation aurait été de 3,2 %.

Un choc à prévoir ?

Les grands investisseurs comme la Caisse de dépôt et placement, les gouvernements et un nombre croissant d’entreprises s’engagent à réduire leur exposition aux énergies fossiles. « De plus en plus d’investisseurs veulent se tenir loin du pétrole, ce qui fait peser beaucoup d’incertitude sur l’industrie », souligne Mathieu D’Anjou.

C’est ce qui explique que les producteurs de pétrole et de gaz gardent le pied sur le frein et n’investissent pas pour produire davantage ou trouver de nouveaux gisements, même si les prix augmentent.

À long terme, l’offre de pétrole pourrait diminuer plus vite que la demande, ce qui ferait exploser les prix. La possibilité que la demande disparaisse plus rapidement que prévu et entraîne les prix à la baisse n’est pas à écarter non plus. Dans les deux cas, un choc économique est à prévoir.

« La transition économique mondiale est un gros risque pour le secteur pétrolier, dit l’économiste de Desjardins. Tout dépendra de la vitesse à laquelle se fera cette transition. On sait où on s’en va, mais on ne sait pas comment on va y aller. »