Le taux d’inflation au Canada s’est accéléré en juillet pour atteindre son niveau le plus élevé en une décennie, relançant du coup les supputations sur une hausse des taux d’intérêt de la Banque du Canada.

L’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 3,7 % en juillet par rapport à l’année précédente, a rapporté Statistique Canada mercredi.

La dernière fois que le taux d’inflation a atteint ce niveau remonte à mai 2011, ont vite noté des économistes bancaires. Ils anticipaient que le taux d’inflation passerait à 3,4 % en juillet par rapport au taux de 3,1 % mesuré en juin.

L’économie canadienne n’a pas enregistré de taux d’inflation au-dessus de 3,7 % depuis 2003, il y a près de 20 ans.

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« L’inflation comme investisseur, on n’a pas connu ça depuis très longtemps. Sera-t-elle temporaire ou persistante ? », a d’ailleurs commenté le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Charles Emond, lors de la présentation des résultats de mi-année.

On a une économie forte et l’inflation à la hausse. Et malgré tout, les banques centrales gardent les taux très bas. Ça entraîne plein de conséquences sur le portefeuille. Ça amène plein de gens à vouloir devenir actionnaires plutôt que créanciers. Ça stimule les marchés boursiers.

Charles Emond, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Du côté des économistes bancaires, « l’IPC du mois de juillet a surpris à la hausse, enregistrant un taux d’inflation plus élevé que prévu », constatent Kyle Dahms et Alexandra Ducharme, à la Banque Nationale.

« Après une croissance modérée en juin, l’IPC canadien a rejoint les rangs des États-Unis avec une inflation vigoureuse. »

Des hausses marquées pour l’essence, l’habitation et les véhicules

« Les pressions haussières sur les prix se généralisent. Ainsi, un peu plus de 50 % des composantes de l’IPC affichaient en juillet une croissance annuelle des prix supérieure à 3 % », signale Benoit Durocher, économiste principal au Mouvement Desjardins.

« Avec une hausse de 30,9 % sur un an, les prix de l’essence continuent de peser lourdement dans la balance [de l’inflation]. Aussi, la forte hausse des prix des propriétés observée récemment a entraîné une vive augmentation de la composante [de l’IPC] liée au coût de remplacement par le propriétaire », observe Benoit Durocher dans une note aux clients de Desjardins.

« Entre-temps, des déséquilibres persistants entre l’offre et la demande [de certains biens et services] favorisent une accélération des prix, précise M. Durocher. Par exemple, les prix des véhicules automobiles sont en hausse de 5,5 % depuis un an. Par ailleurs, après plusieurs mois de baisse, la variation annuelle des prix de l’hébergement pour voyageurs vient de rebondir avec une hausse de 7,4 % en un an. »

À la Banque TD, l’économiste principal James Marple note aussi que « la croissance des prix continue de surprendre à la hausse et elle se généralise dans toutes les catégories de biens et services ».

L’économiste de la TD constate que « l’impact de la pandémie sur la croissance des prix ne se fait plus seulement sentir du côté de l’offre, où les perturbations de la production s’ajoutent au coût des produits manufacturés tels que les automobiles. Cet impact se transmet aussi du côté de la demande, alors que l’aide financière des gouvernements et la politique monétaire [de très bas taux d’intérêt] ont suscité une hausse significative des dépenses des ménages pour l’habitation et les biens durables ».

Dans une note destinée aux clients de la TD, James Marple ajoute que « nous commençons à voir l’impact d’une croissance plus rapide des prix des services avec la réouverture de secteurs tels que la restauration ».

Constat semblable de la part de Royce Mendes, économiste à la Banque CIBC.

« Après avoir montré peu d’impact sur les prix en juin, la réouverture de l’économie se révèle un thème majeur du plus récent rapport de l’IPC en juillet au Canada », indique l’économiste dans une note aux clients de la CIBC.

Le marché des aliments achetés dans les restaurants, les bars et les points de vente de repas à emporter bénéficie d’une forte poussée avec la réouverture de l’économie. Leurs coûts d’opération accrus se répercutent sur les prix aux consommateurs.

Royce Mendes, économiste à la Banque CIBC

En parallèle, l’économiste de la CIBC souligne que « les prix de l’hébergement des voyageurs ont rebondi en juillet, alors que les Canadiens ont pu de nouveau profiter de vacances au pays ».

Et la politique monétaire ?

Quant à l’impact de ce rebond de l’inflation sur la politique monétaire de la Banque du Canada, la perception des économistes bancaires demeure hésitante en attendant de pouvoir préciser la durée et l’ampleur de ces pressions inflationnistes.

« Les craintes associées à une inflation trop élevée sont loin de s’estomper », estime Benoit Durocher, économiste au Mouvement Desjardins.

« Toutefois, plusieurs facteurs temporaires sont à l’œuvre qui devraient normalement s’atténuer graduellement au cours des prochains mois. Si cela ne se produit pas, la Banque du Canada pourrait être forcée d’accélérer la normalisation [remontée des taux] de sa politique monétaire. »

À la Banque Nationale, les économistes Kyle Dahms et Alexandra Ducharme sont d’avis que « bien que la dynamique récente de la croissance des prix ne soit peut-être pas durable, nous continuons à penser que les pressions inflationnistes devraient se perpétuer à moyen terme ».

Une hausse durable des prix ?

« La pandémie étant loin d’être terminée dans le monde, les perturbations des chaînes d’approvisionnement pourraient continuer d’alimenter les pressions haussières sur les prix », signalent les économistes dans une note aux clients de la Banque Nationale.

« En outre, il est peu probable que les biens durables tels que les automobiles deviennent moins chers considérant les pénuries [de pièces composantes et de véhicules assemblés] qui sévissent dans ce secteur. »

De l’avis de Royce Mendes, économiste à la CIBC, « si l’on examine la répartition des hausses de prix, la Banque du Canada considérera probablement encore ce dépassement [inflationniste] comme largement transitoire ».

Par conséquent, estime Royce Mendes, « les responsables de la politique monétaire ne seront plus pressés de supprimer les mesures de relance simplement à cause de ce rapport. La banque centrale continuera de se concentrer sur le soutien du marché du travail, ainsi que les défis potentiels à l’économie avec la fin de pandémie encore incertaine ».

À la Banque TD, l’économiste principal James Marple est d’avis que « la Banque du Canada (BdC) est disposée à tolérer une inflation plus élevée alors que l’économie est encore en train de rouvrir et de se remettre du choc sanitaire ».

Mais il estime aussi que la BdC « pourrait réagir à des pressions inflationnistes plus durables sur les prix en resserrant certains accommodements de sa politique monétaire ».