(Washington) La première tranche de 2000 milliards du vaste plan d’infrastructure de Joe Biden alimente les inquiétudes des Canadiens concernant le protectionnisme « Buy American ».

Le programme, dont le président américain a fait la promotion mercredi à Pittsburgh, comprend 650 milliards pour les autoroutes, les compagnies aériennes et les systèmes hydrauliques, 400 milliards pour les soins à domicile et 300 milliards pour le logement abordable.

M. Biden est également déterminé à ressusciter le secteur manufacturier américain : le plan comprend 580 milliards pour la fabrication, la formation professionnelle et la recherche et développement.

Au nord de la frontière, les intervenants seront à l’affût pour savoir si les fournisseurs et entrepreneurs canadiens auront de la difficulté à participer aux projets.

Des règles « Buy American » plus strictes, conçues pour garantir que les retombées des dépenses américaines restent au pays, ont été la pierre angulaire de la campagne électorale de Joe Biden.

« Je ne pense pas que quiconque sache vraiment à quel point l’administration Biden va être sévère », a déclaré Jesse Goldman, avocat spécialisé en commerce international et associé chez BLG, établie à Toronto.

« Il y a beaucoup d’incertitude — les chiffres sont très élevés, les préoccupations sont assez profondes et le bilan des démocrates au cours des dernières décennies n’a pas été celui de l’ouverture au commerce. »

Et M. Biden ne fait qu’amorcer son plan de relance.

La tranche de mercredi n’est que le premier morceau d’un processus de 4000 milliards sur dix ans pour reconstruire l’économie en restaurant le lustre de la fabrication américaine, en révisant les soins à domicile, en améliorant les routes et les ponts et en dotant le pays de bornes de recharge pour véhicules électriques, pour ne citer que quelques-uns des objectifs.

Compte tenu du prix à payer, sans parler du climat politique américain et du défi de faire adopter ses plans dans un Congrès profondément divisé avec une majorité mince comme du papier au Sénat, il n’est pas surprenant que le président tire des ficelles protectionnistes.

L’annonce de mercredi comprend des détails sur les hausses d’impôts proposées pour payer le plan — des augmentations que les républicains du Congrès ne sont pas susceptibles de soutenir.

En vérité, les mesures largement connues sous le nom de « Buy American » sont dans les plans américains depuis des décennies et comprennent deux volets : l’un couvre les projets financés directement par le gouvernement fédéral, tandis que l’autre — souvent appelé « Buy America » — entre en jeu lorsque le financement fédéral de l’infrastructure est transféré aux États, régions ou de municipalités.

Étant donné les multiples ordres de gouvernement impliqués dans ce dernier volet, cette « cascade » de dispositions « Buy America » constitue la menace la plus insidieuse, a déclaré Dan Ujczo, un expert des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis chez Thompson Hine à Columbus, dans l’Ohio.

« C’est là que les choses se compliquent, et quand vous parlez du chiffre que cela va représenter — 3000 ou 4000 milliards de dollars — il y a beaucoup de potentiel, dans plusieurs secteurs, pour de faux pas sur les marchés publics », a affirmé M. Ujczo.

« Il n’y a pas de solution miracle. Il n’y a pas d’exemption unique à l’échelle du Canada qui couvrirait tout. »

Des leçons à tirer de 2009

Cependant, il y a une vérité fondamentale que les deux pays ont apprise en 2009, la dernière fois que les États-Unis ont imposé des restrictions aux entrepreneurs et fournisseurs étrangers : cela fait finalement plus de mal que de bien des deux côtés de la frontière, compte tenu de la nature étroitement soudée des deux économies.

« Il y a clairement un désir aux États-Unis d’utiliser l’argent des marchés publics pour soutenir les travailleurs et les emplois américains, et nous le comprenons », a déclaré Kirsten Hillman, ambassadrice du Canada à Washington, dans une entrevue.

Nous savons par expérience que l’application (de ces mesures) à la relation économique entre le Canada et les États-Unis a l’effet contraire des objectifs politiques visés. Cela a tendance à nuire aux entreprises américaines ; cela a tendance à nuire aux travailleurs américains.

Kirsten Hillman, ambassadrice du Canada à Washington

Les responsables canadiens et les dirigeants élus soulignent ce point à chaque occasion avec leurs homologues américains, a dit Mme Hillman — une tâche facilitée par le fait que bon nombre de ces homologues, y compris le président lui-même, étaient membres de l’administration de Barack Obama lorsqu’elle a ressuscité des règles « Buy American » il y a 12 ans.

Cette décision, qui accompagnait un plan de relance visant à sortir les États-Unis de la récession provoquée par la crise économique de 2008, a suscité des discussions ardues pendant un an qui ont finalement abouti à une exemption canadienne des restrictions.

« Il y a des connaissances institutionnelles — et cela s’est passé sous Obama, donc nous avons certaines des mêmes personnes qui travaillent sur ces dossiers qui y travaillaient à l’époque », a déclaré Mme Hillman.

« C’est certainement un atout dans nos discussions. »