(New York) Pour financer son ambitieux programme d’infrastructures, Joe Biden veut s’attaquer à la fiscalité des entreprises, qui profitent à ses yeux d’un taux particulièrement bas et parviennent parfois, comme Amazon, à échapper totalement à certains impôts.

« Je n’ai rien contre les millionnaires et les milliardaires », a assuré mercredi le président américain.

Mais, plaidant pour une vaste réforme fiscale, il s’est aussi offusqué qu’un enseignant soit assujetti à un taux d’impôt de 22 % quand « Amazon et d’autres ne paient aucun impôt fédéral ».

M. Biden a proposé d’investir, au cours des huit prochaines années, quelque 2000 milliards de dollars dans les transports, l’industrie ou encore les réseaux internet, pour améliorer la compétitivité du pays.

Il compte beaucoup sur les entreprises pour financer ces projets, la mesure phare étant une hausse de l’impôt sur les sociétés, à 28 %.

Le locataire de la Maison-Blanche reviendrait ainsi en partie sur la forte baisse décidée par son prédécesseur Donald Trump, qui avait diminué le taux de 35 % à 21 %.

« Personne ne devrait s’en plaindre », a estimé M. Biden.  Le taux serait « toujours inférieur » à ce qu’il était « entre la Seconde Guerre mondiale et 2017 ».  

En place depuis 1909 dans le pays, ce chiffre est monté jusqu’à 52,80 % en 1968 avant de redescendre quasiment sans discontinuer.

Cela placerait toutefois les États-Unis parmi les États de l’OCDE avec le plus fort taux d’imposition après la France et la Colombie (32 %), l’Australie, le Mexique et le Portugal (30 %).

Les entreprises paient toutefois en général moins que le taux officiel : une récente étude d’une commission du Congrès montre ainsi qu’aux États-Unis, elles étaient en moyenne assujetties à un taux de 16 % avant la réforme de M. Trump, et de 8 % ensuite.

Elles peuvent notamment utiliser le crédit d’impôt pour la recherche et développement pour abaisser leurs taxes, dont un responsable d’Amazon, Jay Carney, a défendu l’utilisation mercredi.

Si cette disposition « est une “niche fiscale”, c’est certainement une niche que le Congrès a sciemment décidé », a-t-il souligné sur Twitter en notant qu’elle avait été renouvelée plusieurs fois depuis sa création en 1981 et été rendue permanente par le président Barack Obama en 2015.

« Dangereusement malavisées »

Les patrons sont déjà montés au créneau.  

La Chambre américaine du commerce a ainsi estimé que les propositions de financement « sont dangereusement malavisées » et qu’une hausse des impôts « ralentira la reprise économique et rendra les États-Unis moins compétitifs ».

L’organisation Business Roundtable, qui réunit les plus grandes entreprises du pays, a de son côté indiqué qu’elle s’opposerait « avec force » à toute hausse des impôts.

Parmi les autres mesures envisagées, l’administration souhaite décourager les délocalisations et l’évasion fiscale en imposant par exemple un taux minimum de 21 % sur les revenus mondiaux. Ses responsables veulent aussi mieux coordonner la fiscalité avec les autres pays.

Le projet prévoit par ailleurs d’augmenter les ressources des services fiscaux pour lutter plus efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales, et d’éliminer des subventions aux industries du pétrole et du gaz ainsi que plusieurs niches fiscales.

L’ensemble de mesures fiscales devrait, selon la Maison-Blanche, permettre de payer le plan sur les infrastructures en 15 ans.

Pour Dean Baker, économiste au Centre pour la recherche économique et politique (CEPR), la hausse de l’impôt sur les sociétés proposée par Joe Biden « n’est pas un grand saut dans l’inconnu ». « Ce n’est pas comme si les réductions d’impôts proposées par Trump étaient en place depuis des décennies », fait-il remarquer.  

De plus, à l’époque de la décision de Donald Trump, elles devaient s’accompagner d’une réduction drastique des niches fiscales et d’une augmentation importante des investissements des entreprises, ce qui n’a pas été le cas, ajoute-t-il.

Par ailleurs, « les multinationales et leurs actionnaires vont bénéficier de l’amélioration des infrastructures, actuellement déclinantes », remarque Chuck Marr, spécialiste de la fiscalité au Centre sur les priorités budgétaires et politiques (CBPP).

« Revenir en partie sur la forte baisse des impôts décidée par Donald Trump pour financer des grands projets est une bonne affaire pour l’économie », estime-t-il, en mettant par exemple en avant les dépenses prévues pour la recherche dans les semi-conducteurs, dont la pénurie affecte actuellement de plein fouet les constructeurs automobiles aux États-Unis.

Une hausse des impôts pourrait avoir un impact important sur les investissements d’entreprises étrangères, qui peuvent facilement se tourner vers d’autres pays, reconnaît Thornton Matheson, du Centre Urban-Brookings sur les politiques fiscales.  

Mais les États-Unis « restent une grande économie dynamique qui peut supporter d’avoir un taux d’imposition moyen un peu plus élevé que des pays plus petits », ajoute-t-elle.