Des commerces fermés, des ventes en ligne qui explosent, des centres de tri ralentis par les règles de distanciation ou la maladie, des clients confinés qui attendent pendant des semaines, voire des mois leur colis. Tout était en place à partir de la mi-mars pour une « tempête parfaite », estime Stéphane Drouin, directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), qui a frappé au premier chef Postes Canada, qui gère plus de 70 % du marché du colis au pays.

Les chiffres compilés de façon indépendante auprès d’un millier d’entreprises par une firme québécoise, Buster Fetcher, l’indiquent sans détour. À partir de la mi-mars, le pourcentage de colis en retard a grimpé de façon constante pour atteindre un sommet d’environ 40 % le 7 juin. Ce n’est que vers la fin septembre qu’on est revenu aux statistiques pré-COVID-19.

« Comme tout le monde, Postes Canada a été prise par surprise et, comme tout le monde, on n’avait pas prévu qu’une telle chose pouvait arriver », dit Matt Lessard, directeur et fondateur de Buster Fetcher.

La société de la Couronne l’a admis dès le 21 avril, annonçant que les « clients [devaient] s’attendre à des retards », puis le 26 mai, alors qu’on affirmait gérer des « volumes sans précédent » de colis. Le 19 mai, notamment, on a livré 2,1 millions de colis, un record absolu en une journée représentant trois fois le volume normal.

Les commerçants, eux, ont dû composer avec des retards considérables, parfois des colis perdus, et avec les plaintes et les retours de leurs clients excédés. La Presse avait rapporté en mai dernier de nombreux témoignages de boutiques comme Peak Performance ou Bijoux L’Escargot qui subissaient de plein fouet la nouvelle réalité de la livraison.

Précisons que tous les transporteurs, notamment Fedex et UPS, ont rapporté des retards en hausse et une pression record sur leurs activités. Même le géant mondial du commerce électronique Amazon a dû faire une croix pendant plusieurs mois sur ses garanties habituelles de livraison en quelques jours, passées, dans le cas des biens non essentiels, à plusieurs semaines.

Les solutions

Fin juin, Postes Canada avait reconnu avoir imposé une baisse draconienne du volume de colis envoyés à quelques-uns de ses plus importants clients commerciaux. Peu d’entre elles avaient accepté de témoigner publiquement de cette demande. La vie en rose, un détaillant de lingerie féminine, qui avait dû réduire de 60 % ses envois, était l’une d’entre elles.

« On sentait que toute l’industrie du transport était vraiment sous pression, pas seulement Postes Canada », raconte Jean-François Thériault, vice-président Distribution à La vie en rose.

PHOTO FOURNIE PAR LA VIE EN ROSE

On a quand même multiplié par six notre volume normal sur le web, et on a dû maintenir pendant huit semaines un volume d’envois plus bas. Ç’a été challengeant…

Jean-François Thériault, vice-président Distribution à La vie en rose

Le délai de livraison a plus que doublé pour les clients, qui attendaient souvent jusqu’à 12 jours leurs colis. « Les appels ont augmenté de façon significative, même si nos clientes ont été plutôt conciliantes. Mais au pic, fin juin, on a senti qu’il y avait un peu d’exaspération. »

Pour s’en sortir, La vie en rose, comme bien d’autres commerçants, a choisi de « ne plus mettre ses œufs dans le même panier » et a recouru aux services d’un autre transporteur, Fedex en l’occurrence, pour environ le tiers de ses envois.

La réouverture graduelle des commerces, qui s’est terminée fin mai au Québec, a également donné un coup de pouce même si les volumes restaient élevés, convenait Postes Canada dans un communiqué publié fin juillet. « En juin, nous avons livré 75 % plus de colis que pendant le même mois l’année dernière. La réouverture graduelle des magasins a toutefois entraîné une légère diminution des volumes depuis le début du mois de juillet. »

Retour à la normale

La bonne nouvelle, c’est que tout semble être revenu à la normale cet automne. « On est dans une période plus calme, il y a moins de pression sur les systèmes de livraison », rapporte Stéphane Drouin, du CQCD.

Les quotas imposés par Postes Canada en juin dernier semblent avoir disparu, selon les observateurs interrogés. Postes Canada a toutefois décliné les demandes d’entrevue à ce sujet, précisant simplement par courriel « collaborer » avec ses plus gros clients « afin de gérer les volumes de colis qu’elle doit traiter ». « Nous leur avons demandé de nous informer des volumes qu’ils prévoient et de nous remettre leurs articles plus tôt dans la saison lorsque c’est possible. »

Matt Lessard note toutefois que les garanties de respect des délais de livraison ne sont toujours pas honorées. Il n’est toujours pas possible de demander un remboursement des frais d’envoi en cas de retard, la spécialité de Buster Fetcher. « Pourtant, en termes de délais, la situation est meilleure que dans le temps des Fêtes, évalue-t-il. Sans vouloir tomber dans la critique, il n’y a pas de raison pour lesquelles Postes Canada ne ramènerait pas ses garanties. »

Rien n’indique par ailleurs que la deuxième vague, qui n’implique pas cet automne une fermeture des commerces et un confinement comparable à celui du printemps dernier, se traduise en ruée vers les achats en ligne. En fait, les volumes de commandes restent élevés, note la firme d’analyse Absolunet, essentiellement parce que le consommateur a pris goût aux achats en ligne.

Pour cet automne, tout porte à croire que les délais entre la commande et la réception ne devraient pas rallonger. Mais il est fort possible que le coût au marchand pour les livraisons soit revu à la hausse. En soi, ces frais seraient reflétés dans une révision des frais ou des conditions proposés aux consommateurs.

Charles Desjardins, PDG d’Absolunet

À La vie en rose, on s’attend également à un automne d’achats en ligne plus occupé qu’en 2019. « Les gens ont pris une habitude, on ne serait pas surpris de vendre deux fois plus en ligne que l’année passée », indique Jean-François Thériault.

Du côté du CQCD, on s’inquiète toutefois de la pression supplémentaire que vont engendrer les évènements qui sont devenus les plus grosses journées de vente, le Vendredi fou et le Cyberlundi. « Si les gens se dirigent davantage vers le commerce en ligne, si on a par exemple une augmentation de 25 % des ventes pour le Vendredi fou, la chaîne va sauter », prévient Stéphane Drouin.

Les détaillants vont vraisemblablement commencer les promotions bien plus tôt, dès début novembre, pour étirer la période cruciale jusqu’à la fin décembre. L’autre voie de salut que favorise le CQCD, c’est le ramassage en magasin. « On a fait des démarches pour étirer les heures d’ouverture jusqu’à 23 h pour permettre le ramassage. Le gouvernement a trouvé l’idée intéressante. »