(Genève et Paris) Un an après l’avoir sanctionnée pour son soutien à Airbus, l’OMC a autorisé mardi l’Union européenne à prendre des mesures de rétorsion contre les États-Unis pour ses aides à Boeing, un rebondissement de plus dans un feuilleton commercial vieux de 16 ans.  

Bruxelles comme Washington semblent cette fois-ci décidés à discuter d’un compromis.  

« L’Union européenne peut demander à l’Organe de règlement des différends l’autorisation de prendre des contre-mesures à l’égard des États-Unis pour un montant ne dépassant pas, au total, 3 993 212 564 $ US par an », a conclu l’arbitre de l’OMC dans un rapport de 137 pages.

L’UE a réagi en appelant à « un accord négocié » avec les États-Unis.

« J’ai exprimé clairement ma forte préférence pour un accord négocié avec les États-Unis, évitant des mesures et contre-mesures (de sanctions) douloureuses », a déclaré le vice-président exécutif de la Commission, Valdis Dombrovskis, dans un communiqué.

Même son de cloche à Washington, où le représentant américain au commerce (USTR), Robert Lighthizer, a assuré que les États-Unis étaient « déterminés à trouver une solution » pour restaurer une « juste concurrence » et étaient dans l’attente d’une réponse de Bruxelles à une récente proposition américaine.  

Dans la perspective des sanctions, l’UE a déjà dressé une longue liste de produits qui pourraient être taxés. Avant de les imposer, elle doit en faire la demande à l’occasion de la prochaine réunion de l’Organe de règlement des différends le 26 octobre.

Pourraient ainsi être visés les avions de ligne produits aux États-Unis, les tracteurs, mais aussi la patate douce, les arachides, le jus d’orange congelé, le tabac, le ketchup ou encore le saumon du Pacifique, selon une liste actualisée obtenue par l’AFP.

L’avionneur européen et son concurrent américain, et à travers eux Bruxelles et Washington, s’affrontent depuis octobre 2004 devant l’OMC, juge de paix du commerce mondial. En cause : les aides publiques versées aux deux groupes, jugées illégales de part et d’autre.

La décision au profit de l’UE vient en miroir de l’autorisation accordée l’an passé aux États-Unis d’imposer des taxes sur près de 7,5 milliards de dollars de biens et services européens importés chaque année, la sanction la plus lourde jamais imposée par l’OMC.

Depuis, Washington inflige des droits de douane punitifs sur certaines importations de l’UE comme le vin, le fromage et l’huile d’olive, à hauteur de 25 %. Des taxes douanières de 10 % sur les avions Airbus ont été relevées en mars à 15 %.

Mise en conformité

L’UE et certains de ses États membres ont fait appel en décembre d’une décision de l’OMC selon laquelle ils n’avaient toujours pas mis en conformité leurs aides à Airbus. L’examen de cet appel est bloqué, Washington refusant la nomination de juges indispensables à son fonctionnement.

L’avionneur européen a depuis dit s’être mis « en conformité totale » avec les règles de l’OMC : il a annoncé cet été s’être entendu avec les gouvernements espagnol et français pour payer des intérêts plus élevés sur les avances remboursables consenties par Paris et Madrid lors du lancement du programme d’avion long-courrier A350. Le sujet des avances remboursables des États sur les programmes d’Airbus est à l’origine des griefs américains.

Les États-Unis affirment eux aussi s’être mis en conformité avec les règles de l’OMC sur le point qui leur vaut d’être sanctionnés mardi. L’État de Washington, qui abrite de nombreuses usines de Boeing, a en effet abrogé le 1er avril une loi réduisant de 40 % le taux d’imposition des sociétés aéronautiques basées dans cet État du nord-ouest.  

Cette ristourne, d’environ 300 millions de dollars, est considérée par l’OMC comme une subvention déguisée au profit de l’avionneur américain.

À quelques semaines de l’élection présidentielle américaine, peu d’observateurs croient que l’UE se risquera à imposer des tarifs douaniers punitifs.

Côté américain, la perspective du prochain retour en vol du Boeing 737 MAX pourrait constituer une incitation supplémentaire à négocier, afin de ne pas renchérir le prix de l’appareil. Cloué au sol depuis mars 2019 après deux accidents ayant fait au total 346 morts, il a été commandé à plusieurs centaines d’exemplaires par des compagnies européennes.

Le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire, qui a aussi appelé à une solution négociée, a cependant estimé que « l’UE doit imposer des sanctions dès que l’OMC l’y aura formellement autorisée », car « à partir du moment où les États-Unis ne retirent pas leurs propres taxes sur nos produits, nous devons rééquilibrer le rapport de forces ».