Finis les restos avec des amis. Finies les sorties dans les bars. Quand la COVID-19 a frappé, Marie-Pierre s’est tournée vers les réseaux sociaux pour tuer le temps. À travers les publicités ciblées et les conseils des influenceuses qu’elle idéalisait, elle y a découvert les sites de magasinage en ligne.

« Disons que je n’avais rien à faire un soir, je mettais des choses dans mon panier », explique l’infirmière de 27 ans, friande de soldes. « Ah, c’est juste 7,99 $. Je vais en prendre deux. Alors ça monte vite », raconte Marie-Pierre, qui pouvait se retrouver avec des achats de 300 ou 400 $ à la fin de la soirée.

Pour remplir le vide. Meubler son ennui. Masquer sa dépression.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Alors que tout est fermé, internet reste une grande boutique accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 juste au bout de nos doigts », écrit notre chroniqueuse.

Marie-Pierre est devenue une acheteuse compulsive. Quand elle était triste, elle se tournait vers le magasinage, et hop ! tout allait bien. « C’est carrément une drogue, jure-t-elle. On pense que ce n’est pas grave parce que ce sont juste des vêtements, pas quelque chose qu’un ingurgite. Mais on se gèle quand même », raconte la consommatrice qui termine une thérapie de trois mois pour se débarrasser de cette dépendance.

Le magasinage peut devenir une véritable obsession. « Les gens ont une envie irrésistible de se procurer un bien. La seule façon de retrouver leur calme, c’est de faire l’achat. Mais c’est toujours à recommencer », prévient la psychologue Marie-Anne Sergerie, qui vient de publier le livre Cyberdépendance – Quand l’usage des technologies devient un problème.

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La COVID-19 crée un terreau fertile pour le magasinage compulsif sur le web.

« Quand on vit une situation précaire, on va se lancer dans les achats pour se réconforter », affirme Jean*, qui est membre senior du groupe des Débiteurs anonymes.

Avec la pandémie, les pertes d’emplois font grimper le stress. Les gens ne peuvent plus voir leur famille ou leurs amis ni poursuivre leurs loisirs à cause du confinement. L’isolement provoque anxiété, dépression… et compulsion.

« Même ceux qui n’avaient pas de problème de magasinage compulsif avant peuvent se retrouver, avec l’isolement, à prendre de l’alcool et à faire des achats en ligne pour meubler la solitude », rapporte Valérie Dufresne, directrice clinique de la Maison l’Épervier, un centre de thérapie pour les personnes ayant une dépendance.

Alors que tout est fermé, internet reste une grande boutique accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 juste au bout de nos doigts. La publicité pourchasse les internautes, même lorsqu’ils travaillent ou qu’ils étudient. Il n’y a jamais de répit.

Sans surprise, les Canadiens passent plus de temps sur le web depuis le début de la pandémie, ce qui a entraîné une augmentation des dépenses en ligne, de l’utilisation des réseaux sociaux et des services de messagerie, selon des données diffusées mercredi par Statistique Canada.

Près de la moitié des Canadiens (44 %) ont dépensé davantage en produits technologiques, comme les ordinateurs, les ordinateurs portatifs et les tablettes.

De plus, quatre Canadiens sur dix (41 %) ont consacré plus de temps aux réseaux sociaux et aux services de messagerie, une tendance encore plus marquée chez les jeunes de 15 à 34 ans (57 %).

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« Les médias sociaux ont un impact majeur sur les dépendances », déplore Mme Dufresne, qui voit beaucoup de jeunes femmes développer une dépendance au magasinage parce qu’elles veulent projeter une image de perfection.

Marie-Pierre, elle, vivait davantage pour les réseaux sociaux que pour le moment présent. « Quand je faisais une activité avec mes amis, je voulais juste prendre des photos pour que tout le monde voit ma story. Je me valorisais avec mes followers, mes likes. C’était comme une guerre avec mes amies. C’était très nocif », réalise-t-elle.

Certaines jeunes femmes flambent leur paie dans les soins de beauté et la chirurgie plastique. « Ça atteint des niveaux complètement fous », dit Mme Dufresne.

Une de ses clientes qui se trouvait trop grosse est allée jusqu’à se faire « brocher » l’estomac, même si ce n’était pas nécessaire sur le plan médical. Blanchiment des dents, extension de cils, injection dans les lèvres… tout y était passé.

Pour s’en sortir, Marie-Pierre a fermé ses comptes Facebook, Snapchat, Instagram. Elle a nettoyé une partie de sa vie qu’elle traînait comme un fardeau. Elle a fait un budget. Elle a pris rendez-vous avec un planificateur financier. Elle veut vider sa carte de crédit et s’acheter une maison un jour.

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À ceux qui ont des problèmes de magasinage compulsif, Jean recommande carrément d’éviter les achats en ligne. « Couper vos cartes de crédit. Sortez, allez au magasin et payez en argent comptant. »

Voici d’autres conseils :

• Avant de faire un achat, analysez vos émotions. Êtes-vous triste, stressé, anxieux ? Est-ce que le magasinage est un exutoire ?

• Supprimez de votre téléphone les applications auxquelles vous êtes accro. Quand on a un problème d’alcool, on ne va pas dans un bar. Quand on a un problème d’achat compulsif, on ne garde pas un centre d’achats dans sa poche.

• Désabonnez-vous des infolettres promotionnelles avec lesquelles les commerçants bombardent votre boîte de courriels de soldes un peu trop alléchants.

• N’enregistrez pas toutes vos informations (adresse de livraison, carte de crédit, etc.) sur le site internet des commerçants, ce qui vous permet ensuite de faire des achats en un simple clic. Trop facile.

• Si vous devez absolument acheter en ligne, prenez le temps de réfléchir avant de cliquer. En avez-vous besoin ? En avez-vous les moyens ? Gardez les produits dans votre cyberpanier quelques jours avant de passer la commande.

*Privilégiez une carte prépayée ou une carte de débit Visa ou Mastercard qui puise l’argent directement dans votre compte bancaire. Si vous utilisez une carte de crédit, remboursez vos achats le jour même, pas juste à la fin du mois.

* Pseudonyme