Après un troisième trimestre encore marqué par les soubresauts de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, que réserve la fin d’année 2019 aux investisseurs ? Tour d’horizon avec les experts du portefeuille fictif de La Presse.

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier ou protéger le capital initial de 100 000 $ d’un REER autogéré. Dans ce quatrième rendez-vous en 2019, ils reviennent brièvement sur le troisième trimestre. Ils calibrent leur répartition pour lancer le quatrième et dernier trimestre de l’année. Leurs recommandations sont fondées sur les indices de référence. Il n’y a ni choix de titres ni possibilité de modifier la répartition en cours de trimestre. Les rendements indiqués sont avant les frais de gestion.

Les inquiétudes persistent

Au grand dam de la plupart des investisseurs, le passage du troisième au quatrième et dernier trimestre de l’année boursière 2019 s’est encore effectué dans un contexte de guerre commerciale entre les deux plus grandes économies du monde : les États-Unis et la Chine.

Et pour ajouter aux inquiétudes dans les marchés financiers, voilà que les dommages économiques de ce conflit, ressentis surtout en Europe et dans les marchés émergents jusqu’à récemment, commencent à se manifester dans l’économie américaine. Et ce, au seuil d’une année électorale aux États-Unis qui s’annonce encore très perturbante, sinon hasardeuse, pour la suite des politiques commerciales, fiscales et financières de l’administration Trump.

À n’en pas douter, les défis de conjoncture économique et politique demeurent nombreux à l’ordre du jour prévisible de fin d’année dans les marchés d’investissement. Mais est-ce au point de susciter un risque accru de forte volatilité, sinon de correction comme celle de la fin d’année précédente ?

Qu’en pensent les quatre professionnels de l’investissement qui participent au portefeuille fictif de La Presse ?

Quel constat pour le troisième trimestre ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« C’est un trimestre qui, somme toute, s’est avéré un peu moins mouvementé que les précédents. N’empêche, j’ai été un peu surpris de la faiblesse des marchés émergents, alors qu’ils devraient profiter de l’habituelle valorisation des matières premières en fin de cycle économique. Manifestement, les craintes de récession en Europe et de ralentissement accentué de l’économie américaine ont miné le sentiment des investisseurs envers les marchés émergents. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« C’est quand même surprenant que la Bourse américaine s’en soit si bien tirée durant le troisième trimestre, en dépit d’une forte baisse des taux obligataires partout dans le monde – un signe habituel d’affaiblissement économique – et d’un mouvement généralisé des investisseurs vers des actifs plus défensifs.

« Compte tenu du contexte macroéconomique houleux et incertain, avec un ralentissement économique accentué et l’absence de règlement de la querelle commerciale entre la Chine et les États-Unis, les Bourses américaine, canadienne et japonaise ont bien tenu le coup.

« Pendant ce temps, l’Europe et des marchés émergents ont subi plus directement l’impact des tensions commerciales internationales, au point de pousser l’économie européenne, en particulier l’Allemagne, au bord de la récession. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Après trois trimestres, force est de constater que l’année 2019 se passe plutôt bien pour les investisseurs avec un portefeuille équilibré, après la récupération des craintes excessives qui s’étaient manifestées en Bourse en fin d’année dernière.

« Quant à la conjoncture économique, la récession manufacturière est arrivée aux États-Unis durant le trimestre, après l’Europe, plus tôt cette année, et la Chine, l’an dernier.

« Néanmoins, je considère qu’il s’agit d’un cycle mondial allongé sur plusieurs mois, comme on en a déjà vu dans le secteur manufacturier. Et ça ne devrait pas inquiéter outre mesure dans les marchés financiers, au-delà des soubresauts de dispute commerciale et de politique partisane qui émanent de Washington. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Durant ce troisième trimestre de 2019, j’ai surtout remarqué le maintien de la discordance entre les marchés obligataires – baisse des taux en prévention d’un ralentissement économique – et les marchés boursiers qui continuent de se fier à la Fed [Réserve fédérale américaine] pour contrer les effets de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.

« De mon point de vue, cette discordance persistante entre les deux principaux types de marchés d’investissement appelle à la prudence et au maintien d’une certaine neutralité en termes de positionnement tactique de portefeuille pour les prochains mois. »

Quelles perspectives pour la suite ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Parmi les éléments négatifs à surveiller en ce quatrième trimestre, je note surtout le risque d’impact encore très imprévisible du processus de destitution présidentielle à Washington sur les politiques budgétaires et commerciales du gouvernement américain.

« D’autant plus que ça survient alors que l’économie américaine se ressent de plus en plus d’un secteur manufacturier qui titube, alors que la consommation se porte encore relativement bien.

« En contrepartie, je trouve positif pour les marchés boursiers que les principales banques centrales se soient déjà mises en mode d’assouplissement de leur politique monétaire [baisse des taux d’intérêt].

« Mais j’estime aussi que les attentes de croissance économique sont devenues trop faibles parmi les marchés financiers. Pour ma part, je ne vois pas d’amorce de récession au cours des six prochains mois. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« Je m’attends à un autre trimestre de volatilité dans les marchés financiers tant que la conjoncture économique mondiale ne se sera pas éclaircie face à l’impact de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.

« De plus, les questions qui se posent sur la continuité de la performance de l’économie américaine ne peuvent plus être ignorées. Au fil des plus récents indicateurs, l’économie américaine ne semble plus aussi résistante qu’elle l’avait été jusqu’à maintenant face au ralentissement survenu en Asie et en Europe.

« Dans ce contexte, je m’attends à ce que la Réserve fédérale américaine effectue deux baisses de taux au cours des trois à quatre prochains mois, ce qui pourrait aussi rabaisser la valeur du dollar américain sur le marché des devises. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Malgré tous les bruits de ralentissement économique qui parcourent les marchés financiers ces temps-ci, je ne vois toujours pas de risque de récession aux États-Unis au cours des prochains mois, ni en 2020 et pas avant 2021.

« On a beau s’inquiéter du secteur manufacturier aux États-Unis, il faut aussi regarder vers les secteurs des services et de la consommation qui, eux, continuent d’aller drôlement bien avec un taux de chômage à un bas historique et les salaires en hausse.

« Cela dit, les investisseurs doivent encore s’attendre à des turbulences à court terme dans les marchés financiers. Cette volatilité est alimentée surtout par la politique commerciale du président des États-Unis envers le reste du monde. Pour ma part, je continue d’anticiper les moments de faiblesse en Bourse comme des occasions d’achat ou d’investissement additionnel dans des titres que j’avais déjà à l’œil. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Les prochains mois s’annoncent encore assez volatils dans les marchés financiers, alors que les investisseurs demeurent en attente de clarté sur l’évolution de la conjoncture économique et des tensions commerciales internationales.

« En ce sens, l’événement le plus surveillé dans les marchés financiers a lieu ces jours-ci à Washington : la rencontre de négociations de haut niveau entre la Chine et les États-Unis, dans le but d’atténuer leur guerre commerciale.

« Les marchés financiers souhaitent la suspension des prochaines hausses de tarifs annoncées entre les deux pays, qui toucheraient des blocs importants de leur commerce bilatéral.

« Au moins, l’économie américaine continue d’afficher un certain dynamisme malgré les signes de mollesse qui s’observent dans le secteur manufacturier, mais qui demeurent concentrés dans l’industrie automobile. »

Où en est votre répartition d’actifs ?

François Bourdon, chef des placements global, Fiera Capital

« Pour l’essentiel, je demeure optimiste envers le potentiel des Bourses nord-américaines à s’élever vers de nouveaux sommets. Mais sans doute après de courts replis provoqués par l’excès de pessimisme dans les marchés financiers envers la conjoncture économique mondiale et nord-américaine.

« Par conséquent, la seule modification à ma répartition d’actifs pour cette fin d’année en Bourse est de rehausser la part en actions américaines [de 13 % à 18 %] en puisant dans l’encaisse, que je rabaisse de 20 % à 15 %. 

« Ce faisant, je rehausse un peu la répartition totale en actions [de 60 % à 65 %], mais sans trop ajouter de risque dans le portefeuille à cette étape avancée du cycle économique. Par ailleurs, je demeure très réservé envers l’Europe, mais relativement optimiste envers les marchés émergents. »

Vincent Delisle, cochef des placements, Hexavest

« Dans le contexte où l’économie des États-Unis montre des signes de faiblesse, la Bourse américaine pourrait traîner de l’arrière lors de ce quatrième trimestre. Ça justifie donc le maintien d’une sous-pondération en actions américaines à 10 % du portefeuille fictif.

« En contrepartie, je m’attends à ce que les marchés émergents profitent de cet étiolement de la conjoncture économique et boursière aux États-Unis, ainsi que d’un affaiblissement subséquent du dollar américain. C’est pourquoi je rehausse ma pondération dans les marchés émergents [de 13 % à 15 %] en réduisant d’autant celle dans les marchés EAEO [Europe, Asie, Extrême-Orient].

« Par ailleurs, je ne change pas la répartition encore relativement élevée en encaisse et en obligations [41 % en tout], parce qu’il s’agit d’actifs défensifs face au risque d’un affaiblissement économique accentué si le conflit commercial entre la Chine et les États-Unis devait perdurer. »

Michel Doucet, vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

« Je ne change pas la répartition de base de mon portefeuille fictif entre les actions [75 %], les titres à revenu fixe [20 %] et l’encaisse [5 %].

« Cependant, je modifie un peu la répartition géographique parmi les actions : je réduis un peu la répartition en Europe [EAEO, de 13 % à 10 %] et dans les marchés émergents [de 6 % à 5 %]. En contrepartie, j’augmente un peu la répartition en actions américaines et canadiennes [de 56 % à 60 % en tout].

« Sur la Bourse canadienne, je m’attends à un regain de sentiment favorable envers les secteurs de l’énergie et des services financiers grâce aux meilleurs prix pour le pétrole et à une économie encore dynamique, ce qui devrait être favorable aux résultats des grandes banques.

« Aux États-Unis, je m’attends à un rendement avantageux, sinon dominant, parmi les actions d’entreprises de croissance et de qualité établie par rapport à l’ensemble du marché. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Une conjoncture économique et boursière qui demeure très embrouillée continue d’appeler à la prudence en matière de pondération d’actifs en portefeuille.

« En fait, je considère qu’il serait spéculatif à ce moment-ci de réorienter le portefeuille de façon plus défensive ou plus offensive avant qu’on puisse voir plus clair sur l’issue de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.

« Dans ce contexte, je préfère maintenir une répartition relativement élevée en encaisse et en obligations [36 % en tout]. Pas de changement non plus en ce qui concerne la répartition géographique de la pondération en actions.

« Je continue de favoriser les marchés nord-américains [46 % en tout] parce que ces deux économies, aux États-Unis et au Canada, demeurent les plus dynamiques. En comparaison, l’économie européenne frôle la récession et les marchés émergents risquent encore d’être les plus touchés par un prolongement du conflit commercial entre la Chine et les États-Unis. »