Chiffres contestables sur sa croissance, chômage toujours élevé, inégalités persistantes. L’Inde n’est peut-être pas le miracle économique que l’on croyait.

« L’éléphant endormi s’est désormais réveillé et il est en train de courir. »

Le premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, réélu en mai avec une forte majorité, vantait ainsi l’été dernier les performances économiques de son pays. À première vue, il avait de bonnes raisons de pavoiser.

Le pays a effectivement progressé rapidement au tableau des économies mondiales, passant de la 10e place en 2008 à la 7e 10 ans plus tard, selon le Fonds monétaire international (FMI).

En 2016, l’Inde a même enregistré une croissance supérieure à celle de la Chine, son grand rival, devenant l’économie la plus dynamique du monde. Deux ans plus tard, le géant asiatique dépassait la France au palmarès des puissances économiques pour se hisser au 6e rang.

Des doutes

Et pourtant. Depuis quelques jours, les doutes se multiplient à l’endroit de cette vedette du BRIC. D’abord sur la véritable vigueur de son économie.

La crédibilité des chiffres de New Delhi est débattue par les experts depuis longtemps, mais les critiques ont pris de l’ampleur ces derniers jours avec la sortie d’un rapport d’une agence gouvernementale.

Des données du National Sample Survey Office (NSSO) ont montré de grands trous dans les calculs de la croissance du géant asiatique. D’après le NSSO, plus du tiers des entreprises incluses dans une base de données servant à calculer la performance de l’Inde sont « fermées », « hors du champ de couverture » ou carrément « intraçables ».

Dans un rapport parrainé par l’Université Harvard, un ancien conseiller économique de Modi, Arvid Subramanian, en a rajouté la semaine dernière. La croissance annuelle d’environ 7 % de l’Inde, de 2012 à 2017, aurait été enjolivée et serait plutôt de 4,5 % si les calculs sont justes.

Autrement dit, un grand pan de l’économie serait un « show de boucane ».

Par ailleurs, même en prenant les chiffres officiels tels quels, l’économie indienne passe de mauvais moments en raison des tensions commerciales qui affectent toute l’économie mondiale.

On vient d’apprendre que la croissance indienne a fortement ralenti au dernier trimestre de l’exercice 2018-2019 (janvier-mars), tombant à 5,8 % sur un an.

Cela s’ajoute à la décélération enregistrée au cours des deux trimestres précédents. Le chiffre du quatrième trimestre est aussi inférieur à la prévision des économistes (+ 6,3 %) interrogés par l’agence Bloomberg.

Or, la troisième économie d’Asie, avec 1,3 milliard d’habitants, a besoin d’une croissance de 8 % ou plus pour employer le million de jeunes qui entrent chaque mois sur le marché du travail, selon l’Organisation internationale du travail (OIT).

D’ailleurs, le marché du travail ne s’améliore pas, au contraire.

Alors que le gouvernement Modi n’avait publié aucune donnée sur le chômage depuis presque deux ans, un bilan officiel a finalement été rendu public à la fin de mai. Il montre un taux de chômage de 6,1 % en 2017-2018, un sommet en 45 ans, selon la presse indienne.

Démonétisation et investissements étrangers

Par ailleurs, la soudaine démonétisation de 86 % de l’argent liquide en circulation, en 2016, a été une catastrophe qui a infligé un choc à l’économie dont elle ne se remet pas, affirme Arun Kumar, auteur de Demonetization and the Black Economy, cité par l’AFP.

Cette décision controversée de Narendra Modi avait fortement perturbé le marché noir, mais elle n’avait pas eu les effets voulus sur la corruption.

Le premier ministre Modi n’est pas non plus parvenu à stimuler les investissements étrangers, une promesse liée à son programme « Make in India » lancé en 2014, malgré une légère hausse en 2017-2018, à 45 milliards US. Il s’agit de la plus faible hausse en cinq ans.

Autre déception : la réforme bancaire souhaitée par les milieux financiers tarde aussi à se concrétiser. Plus de 10 % des prêts des banques, pour la plupart très fragiles, sont essentiellement irrécupérables. Plusieurs d’entre elles frôlent la faillite.

Malgré son essor économique indéniable depuis 20 ans, l’Inde reste par ailleurs un pays avec énormément de pauvres : 90 % des Indiens en âge de travailler gagnent moins de 150 $US par mois (OIT).

La sécheresse s’en mêle

Et voilà que le réchauffement climatique s’en mêle et vient compliquer le travail de Narendra Modi.

Le climat est particulièrement pénible cette année en Inde, avec des températures dépassant les 50 °C dans l’État du Rajasthan, dans le nord du pays.

Plus du tiers du territoire indien, occupé par plus de 500 millions de personnes, fait face à des conditions de sécheresse qui s’aggravent d’année en année, selon les services météorologiques.

Des agences de presse racontent que des villages entiers dans l’ouest du pays se sont vidés ces derniers jours parce que les conditions extrêmes empêchaient toute forme d’agriculture, un secteur qui fait vivre 300 millions de personnes (Banque mondiale).

Le gouvernement a mobilisé des milliers de camions-citernes pour transporter de l’eau dans les régions touchées, mais cette solution n’est que temporaire.

Tout le monde attend impatiemment la prochaine mousson qu’on espère normale cette année, mais qui tarde à arriver.