Pour beaucoup de Québécois, le congé de la fête du Travail apporte un répit bien mérité après des mois de boulot sans relâche - donc à plein temps - sans trop de soucis pour son emploi le lendemain. Or, la réalité est bien différente pour la majorité des travailleurs dans le monde.

Car, quand on parle de travail en 2015, la précarité est maintenant la norme.

Trois travailleurs sur quatre sur la planète ne bénéficient pas d'une «relation d'emploi stable», affirme l'Organisation internationale du travail (OIT) dans son dernier rapport annuel.

Autrement dit, seul un quart des travailleurs sont salariés avec un contrat à durée indéterminée et à plein temps. Les trois quarts restants ont des contrats à durée déterminée, travaillent à temps partiel, sont leur propre patron ou, pire, travaillent au noir.

D'ailleurs, l'OIT explique que la majorité des travailleurs (60 %) n'ont tout simplement pas de contrat de travail. C'est donc le travail non déclaré, avec une rémunération «sous la table», qui est roi dans le monde.

Cette condition a un nom, le «précariat», qui est aussi à la source d'un autre problème. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que les écarts entre riches et pauvres ont bondi depuis 30 ans, atteignant un niveau record en 2015. Or, ce problème découle, en grande partie, de la précarité grandissante du travail.

Entre 1995 et 2013, plus de la moitié des emplois créés dans les 34 pays de l'OCDE, incluant le Canada, étaient à temps partiel, sous contrat à durée déterminée ou relevaient de travailleurs indépendants.

Les jeunes surtout sont touchés : plus de la moitié des emplois temporaires sont occupés par des moins de 30 ans.

En France, seulement 16 % des emplois créés depuis un an sont des postes permanents.

En Espagne, où les normes du travail ont été assouplies considérablement après la crise 2008 pour stimuler l'embauche, la «grande majorité des contrats de travail signés chaque mois sont temporaires», note le Financial Times dans un récent reportage.

Le portait à l'échelle européenne est similaire. Plus de la moitié (52 %) des jeunes travailleurs (15 à 24 ans) du continent occupent un emploi à temps partiel - un record, selon Eurostat.

En Amérique du Nord, le marché du travail n'est guère plus rassurant pour ceux qui cherchent un boulot.

Malgré une création d'emplois soutenue depuis trois ans, le travail à statut précaire prolifère aux États-Unis. Le nombre de personnes travaillant à temps partiel ou à leur compte est passé d'environ 20 millions, en 2001, à 32 millions en 2014, soit 18 % de tous les emplois, affirme Economic Modeling Specialists, une firme américaine qui analyse le marché du travail aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni.

Qualité des emplois

Au Canada, la «qualité» des emplois est tombée à un «creux record» cette année et rien ne laisse présager une amélioration, dit la Banque CIBC dans une étude parue au printemps.

Son indice de qualité de l'emploi - qui mesure la répartition des emplois à temps plein et partiel, l'écart entre travailleurs autonomes et salariés ainsi que le classement des salaires dans plus de 100 secteurs - est descendu de 10 % par rapport au niveau des années 90.

«Le principal facteur de la baisse de qualité est la hausse de postes à temps partiel, qui a augmenté beaucoup plus rapidement que celui des emplois à temps plein», dit Benjamin Tal, économiste et créateur de l'indice de qualité d'emploi à la CIBC.

Un bel exemple de la nouvelle réalité mondiale sur le marché du travail : Apple emploie directement moins de 10 % des travailleurs qui dessinent, fabriquent ou vendent ses iPhone, iPad et autres appareils. Le géant américain doit donc en grande partie ses succès éclatants à des «contractuels», qui bossent un peu partout sur la planète.

La précarité du travail ne touche pas seulement les ouvriers, elle entraîne des frais pour l'État, notamment pour les programmes d'assurance-emploi. «La surutilisation [des travailleurs à statut précaire] génère des périodes de chômage automatiques entre deux contrats, déplore l'OCDE. Pour les employeurs, c'est un moyen de transférer sur l'assurance-chômage, donc sur les autres, le coût de leur flexibilité.»

L'explosion de ces emplois rend certes l'économie ultra flexible et permet de mieux traverser les crises. Mais, à long terme, il en découle une sous-qualification de la main-d'oeuvre, signale l'OCDE. «Une société qui n'emploie que des travailleurs au statut précaire n'investit pas dans la formation.» Au final, «on ne construit pas une main-d'oeuvre compétente», prévient l'organisme.