Nouveau rebondissement dans la rivalité Québecor-Bell: Bell vient d'être condamnée par la Cour d'appel du Québec à payer environ 84 millions de dollars à Vidéotron et TVA pour ne pas avoir agi assez rapidement pour contrer le piratage de sa télé satellite au début des années 2000, privant ainsi Québecor des revenus de dizaines de milliers de clients. Avec les intérêts, les dommages s'élèvent actuellement à 136 millions. Ce litige n'est toutefois pas terminé: Bell appellera de cette décision devant la Cour suprême du Canada.

Dans une décision publiée vendredi en fin d'après-midi, la Cour d'appel du Québec a conclu que Bell devait dédommager Vidéotron pour les 43 619 clients supplémentaires que l'entreprise aurait vraisemblablement comptés entre 2004 et 2010 sans le phénomène du piratage. 

«C'est un jugement historique dans le domaine des télécommunications au Canada. Alors qu'elle se savait victime de piratage, Bell a négligé de prendre les mesures pour y mettre fin. Elle savait pertinemment qu'elle causait des dommages à ses concurrents. Aujourd'hui, justice a été rendue», dit Martin Tremblay, vice-président des affaires publiques de Québecor. 

Bell demandera une autorisation d'appeler de la décision à la Cour suprême du Canada. «BCE est fortement en désaccord avec la décision de la Cour d'appel du Québec et va demander l'autorisation d'en appeler auprès de la Cour suprême du Canada», dit Marie-Ève Francoeur, porte-parole de Bell. 

Québecor réclamait au départ des dommages de 304 millions de dollars dans cette poursuite entendue par la Cour supérieure en 2011. Vidéotron, le câblodistributeur appartenant à Québecor, reprochait essentiellement à Bell de ne pas avoir suffisamment contré le piratage de sa télé satellite, ce qui privait Vidéotron - son principal concurrent au Québec - de plusieurs dizaines de clients potentiels. Lors des audiences, Pierre Karl Péladeau (alors président et chef de la direction de Québecor, poste qu'il a occupé jusqu'en 2013) et Robert Dépatie (président et chef de la direction de Vidéotron à l'époque) avaient notamment témoigné. 

Dans un jugement rendu en juillet 2012, la Cour supérieure avait donné raison à Québecor sur le fait que Bell aurait dû agir plus rapidement pour contrer le piratage, mais le tribunal de première instance avait plutôt estimé les dommages à 601 000 $ en appréciant la preuve d'experts devant lui. Cette partie de la décision a été cassée vendredi par la Cour d'appel du Québec, qui rappelle n'intervenir dans la détermination des dommages que s'il y a «une erreur manifeste et déterminante». La Cour d'appel a déterminé que c'était le cas dans la décision de la Cour supérieure d'accorder des dommages de 601 000 $. 

Pour attribuer des dommages d'environ 84 millions, le tribunal d'appel s'est fié au témoignage d'experts au fait que «[...] bon nombre de pirates purs, une fois le piratage devenu impossible, se sont convertis en clients légitimes de [Bell Express Vu] ou de Vidéotron». La Cour d'appel a accordé des dommages de 83,7 millions à Vidéotron, et environ 559 000 $ à TVA.

La Cour d'appel a aussi confirmé la responsabilité légale de Bell dans ce dossier. «Le juge pouvait en déduire que [Bell] savait et devait prévoir qu'en négligeant de prendre en temps opportun des mesures pour combattre efficacement le piratage de ses signaux - alors même qu'elle était en mesure de le faire - elle causerait, logiquement et directement, des dommages à ses concurrents, y compris son principal rival au Québec, Vidéotron», écrivent les juges Yves-Marie Morissette, Marie St-Pierre et Mark Schrager de la Cour d'appel dans leur décision.