Le système financier est aujourd'hui plus robuste et mieux encadré qu'au moment où a éclaté la Grande Récession, selon l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Ben S. Bernanke.

«Aujourd'hui, on s'occupe de toute la forêt, pas seulement de quelques arbres», a t-t-il résumé hier soir aux quelque 1200 convives venus l'écouter à l'invitation de CFA Montréal.

L'ex-banquier central converti en conférencier au tarif horaire de 200 000$US, selon le New York Times, a expliqué que les banques sont désormais beaucoup mieux capitalisées, que des mécanismes de liquidation ordonnée avaient été mis en place, que les produits dérivés étaient mieux encadrés et que le cadre réglementaire avait été renforcé. Aux États-Unis en particulier, il existe désormais un organisme responsable de superviser l'ensemble du système financier, la Fed pour ne pas la nommer.

Au cours de sa prestation qui a pris la forme d'une conversation avec l'économiste Christopher Ragan de l'Université McGill, M.Bernanke a admis que les États-Unis avaient sans doute péché par excès de confiance.

«Nous avons surmonté le krach boursier de 1987 sans trop de problème, a-t-il rappelé. L'économie a pu tolérer la faillite de Long Term Capital Management, l'éclatement de la technobulle. Nous avons beaucoup déréglementé, l'innovation financière a été très rapide, et personne n'était chargé de veiller à tout ça.»

Celui qui a été présenté par le gouverneur de la Banque du Canada Stephen Poloz comme «le leader de la réponse globale à la crise financière de 2008» est revenu sur cette suite d'événements dramatiques. Il fallait une «réponse agressive» dès le début «en inondant le système de liquidités» pour apaiser le mal.

Et il a fallu convaincre que cette voie non orthodoxe était la bonne.

Ainsi, lorsque le moment est venu de sauver l'assureur American Insurance Group (AIG) par l'injection de plus d'une centaine de milliards, M. Bernanke a reçu l'aval du président George W. Bush à la condition d'obtenir celui du Congrès.

Après sa plaidoirie, un vieux congressiste lui a alors répondu: «C'est votre décision, votre verdict, votre responsabilité, mais nous ne sommes pas d'accord», a-t-il raconté. Ce qui devait être fait fut fait, et la convalescence de l'économie paraît aujourd'hui bien réelle.

M. Bernanke reconnaît que la Fed a fait preuve d'optimisme excessif dans les premiers pas de la sortie de crise. Après coup, il considère que les gains de productivité ont été faibles parce que la difficulté d'obtenir du crédit a ralenti la création d'entreprises, surtout celles qui avaient une capacité d'innover.

«L'art de la prévision est tout juste un peu mieux qu'aléatoire», a-t-il échappé, faisant rire l'auditoire qui avait payé de 200 à 300$ pour l'entendre.

À ses yeux, la croissance du présent cycle serait plus lente qu'au cours des précédents à cause de facteurs sous-jacents qui n'étaient pas présents après les récessions précédentes. Parmi eux, il y a bien sûr le vieillissement de la population, mais aussi la raréfaction des emplois pour les travailleurs semi-qualifiés ainsi que les faibles perspectives d'une grande avancée technologique comme l'ont été les chemins de fer, l'électricité, l'automobile ou l'internet.

«Mais en matière de technologie, on s'est souvent trompé par le passé», a-t-il lancé en riant.

M. Bernanke ne croit pas par ailleurs que le bilan de la Fed, qui a presque quintuplé depuis 2007, puisse stimuler l'inflation outre-mesure. En fait, toutes les initiatives de détente quantitative, qui ont activé chacune à leur façon la planche à billets, visaient à contrer les risques de déflation.

La résistance de la Banque centrale européenne à aller dans ce sens explique d'ailleurs la trop faible inflation en zone euro. Cela est attribuable en grande partie à l'Allemagne, gardienne de l'orthodoxie monétaire, et à l'incapacité de plusieurs États trop endettés pour stimuler leur économie. «La situation actuelle n'est pas soutenable, juge-t-il. Mais les Européens ont montré beaucoup de talent à réagir à l'extrême limite.»