Quel est le plus grand risque systémique de l'économie? Les grandes banques, les fonds spéculatifs, les produits dérivés, la déréglementation, la cupidité des chefs d'entreprise?

Rien de tout cela, répond le plus sérieusement du monde Pierre Lemieux. C'est l'État.

«En rompant les équilibres fragiles de la société, l'État est hélas! capable de provoquer une crise comme celle que nous avons vécue et, Dieu nous en garde, comme celle qui découlera des politiques pu bliques adoptées dans la foulée de cette crise», clame-t-il dans son dernier brûlot Une crise peut en cacher une autre.

L'auteur, qui ne cache pas son penchant libertaire (il est vice-président à la recherche du nouvel Institute for the Right to Keep and Bear Arms - Institut pour le droit de garder et de porter des armes) admet que les intervenants des marchés ont commis des erreurs qui ont contribué à la gravité de la récente récession née dans le secteur de l'habitation américain.

Il soutient et documente minutieusement cependant la thèse que c'est avant tout la volonté des pouvoirs publics américains de faciliter l'accès à la propriété qui a mis la table pour la crise pénible que nous venons de traverser.

Le Senior Fellow à l'Institut économique de Montréal pourfend d'emblée l'idée que l'État, qu'il nomme souvent l'«autorité», soit capable d'une meilleure capacité de planifier que les mécanismes des marchés. «Les pouvoirs publics ont été tout aussi incapables que les analystes privés de prédire la crise», rappelle-t-il.

Il commence sa démonstration par un survol des grands courants de la pensée économique où il révèle son penchant pour l'école autrichienne de F.A. Hayek et se rit de la conception «naïve» de l'État qu'il prête à J. M. Keynes.

Il fait ressortir de cela que l'empreinte de l'État est omniprésente dans l'économie américaine, perçue à tort, selon lui, comme un paradis du libéralisme. Sa part dans l'économie n'a pas cessé de croître tout au long du XXe siècle, ère, répète-t-il souvent, que le fasciste Mussolini avait qualifiée de «siècle de l'État».

Il recense tous les nouveaux pouvoirs que s'est attribués l'État au sortir de chaque crise, sous prétexte de prévenir la suivante.

Il s'attarde en particulier à l'interventionnisme visant à favoriser l'accès à la propriété, un des piliers du rêve américain. C'est sans doute la partie la plus intéressante de son livre, car elle illustre jusqu'à quel point les États-Unis sont devenus ingouvernables.

Il s'en prend au rôle joué par Freddie Mac, Fannie Mae et Ginnie Mae dans la prolifération des prêts hypothécaires subprimes à l'origine de la bulle immobilière dont l'éclatement aura entraîné la Grande Récession. Ces trois créatures de l'État, qui avaient pour rôle de stimuler l'accès à la propriété, ont abusé de l'effet de levier puisqu'elles bénéficiaient de la protection implicite de l'État qui a dû se résigner à les mettre en tutelle aux frais du contribuable. Si le levier d'endettement était de 31 pour la banque d'affaires Lehman Brothers, acculée à la faillite, il était de 67 pour Freddie Mac et de... 95 pour Fannie Mae. «Le marché des hypothèques résidentielles était particulier au sens où il était dominé et manipulé par l'État, c'est-à-dire par les politiciens et par les bureaucrates», soutient-il.

Le polémiste n'est pas tendre pour ces deux catégories de personnes à qui il prête autant de cupidité qu'à l'entrepreneur.

Chemin faisant, il ridiculise le pouvoir du citoyen qui vote. Il peint plutôt l'État comme un lieu où des groupes influents font passer leurs priorités comme l'intérêt public. «Les politiciens et les bureaucrates sont des individus ordinaires, soumis aux mêmes limitations cognitives que n'importe qui, écrit-il. Ils ne savent pas identifier les bulles et résister aux modes mieux que vous et moi.»

Comme les entrepreneurs ou les détenteurs de capitaux, ces gens ordinaires poursuivent leurs propres intérêts qui consistent à croître.

Cette spirale porte en elle les germes de la prochaine crise, celle de l'insolvabilité des États.

La cagnotte du Medicare américain, qui couvre les retraités, sera vide en 2017, rappelle Lemieux. Bon an, mal an, les dépenses de Washington représentent 24% du PIB américain alors que l'État n'a jamais pu exercer une ponction fiscale au-delà de 20% du PIB.

La dette américaine menace, mais l'auteur reste optimiste. C'est aussi aux États-Unis que «l'individualisme et la résistance à l'autorité sont les mieux enracinés».

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UNE CRISE PEUT EN CACHER UNE AUTRE

Pierre Lemieux

Les Belles Lettres, Paris, 257 pages