Le rachat du Huffington Post par AOL survient alors que le paysage médiatique subit une profonde mutation, aux États-Unis comme ailleurs.

En l'espace de cinq petites années, les revenus publicitaires se sont déplacés en masse des journaux vers l'internet. Selon les données les plus récentes de la firme ZenithOptimedia, les annonceurs ont dépensé 51,5 milliards US en 2006 dans les journaux américains - un sommet - contre à peine 29,7 milliards l'an dernier. Et les investissements devraient fondre à 23,9 milliards en 2013.

Pendant la même période, les sommes injectées sur le web ont explosé de 11 à 23 milliards. Elles devraient atteindre 35,4 milliards d'ici deux ans, prévoit ZenithOptimedia.

Plusieurs journaux ont disparu du paysage au cours des dernières années, et la majorité ont revu leur structure de coût à la baisse. Les assises financières de nombreux groupes de presse sont aujourd'hui plus solides. Mais la véritable «révolution journalistique», elle, ne fait que commencer, fait valoir Michael Mandel, ancien économiste en chef de Business Week et spécialiste des médias.

«Nous n'avons pas tant un problème de modèle d'affaires qu'un problème de journalisme, avance-t-il. Qu'est-ce que les gens veulent vraiment? Et que sont-ils prêts à payer? Ce qu'on sait, c'est qu'ils ne sont pas prêts à payer pour ce qu'ils avaient avant.»

Michael Mandel ignore d'où viendront les modèles d'affaires gagnants. AOL croit pour sa part qu'ils proviendront du journalisme ultralocal et citoyen, qu'elle développe à grande vitesse avec ses sites Patch, Seed et une pléthore d'autres portails de nouvelles spécialisés.

Journalisme à rabais

AOL a créé environ 900 postes de journalistes au cours de la dernière année, payés entre 35 000$ et 45 000$ par an en moyenne selon certaines sources. Le groupe compte aussi sur un vaste réseau de collaborateurs, sans salaire fixe ni avantages sociaux.

Une pigiste torontoise, qui a demandé à garder l'anonymat, écrit trois ou quatre articles par semaine pour un site d'information financière d'AOL. Ses textes sont payés de 80$ à 160$ pièce. La journaliste indépendante apprécie la régularité des commandes, mais émet d'importantes réserves. «Je sens qu'il n'y a aucune loyauté envers moi: je suis là d'abord et avant tout pour produire du contenu au coût le plus bas possible.»

Paradoxalement, cette précarisation de plus en plus grande du métier de reporter a eu pour effet de doper le nombre de gens qui disent «vaquer à une occupation journalistique» aux États-Unis, révèle une étude réalisée l'été dernier par l'économiste Michael Mandel. Leur nombre a progressé de 5% depuis trois ans, dépassant la croissance moyenne des autres professions universitaires.

«Les journalistes ne travaillent toutefois pas dans des publications à grand tirage dont la structure de coûts est élevée, mais plutôt chez les Yahoo! et autres AOL, à titre de pigiste», a observé M. Mandel.

Tous médias confondus, les dépenses publicitaires devraient atteindre 368 milliards cette année aux États-Unis, et grimper à 392 milliards en 2013, prévoit ZenithOptimedia.