Selon le dictionnaire Larousse, le mot «virtuel» fait référence à quelque chose qui n'existe qu'en puissance mais n'a pas d'effet actuel. Wikipédia ajoute à cette définition qu'on utilise souvent cet adjectif pour désigner ce qui se passe dans un ordinateur ou sur l'internet, c'est-à-dire dans un monde «numérique» par opposition au monde physique.

De toute évidence, jouer contre l'ordinateur à un jeu de rôle relève complètement du monde virtuel; il est clair aussi que parler à quelqu'un est une activité qui relève du monde physique. L'importance du monde virtuel est cependant parfois difficile à mesurer.

Un monde sans conséquence?

On a l'impression que tout ce qui n'a pas d'effet palpable est anodin. Nous ne nous attardons guère sur les informations qu'on laisse quelque part dans le monde virtuel par l'intermédiaire des cartes de fidélité en échange desquelles on espère un avantage souvent symbolique. Ces données virtuelles sur lesquelles nous n'avons aucun pouvoir nous paraissent sans conséquence. La difficulté à mesurer l'impact du monde virtuel sur nos vies est peut-être responsable des imprudences que nous pouvons commettre en rendant accessibles certaines informations confidentielles sur des médias virtuels.

Des téléphones indiscrets

Avant que les téléphones ne soient mobiles, la première phrase que l'on disait quand un interlocuteur décrochait le combiné était souvent: «Bonjour, puis-je parler à ...», puis «J'espère que je ne te dérange pas». Le téléphone était un appareil associé à la maison. Avec les téléphones cellulaires, on commence par demander: «Où es-tu?» Le téléphone est alors associé à une personne. Avec la nouvelle génération de téléphones dits «intelligents», on peut s'attendre à de nouvelles attitudes comme: «Puisque je vois que tu es au supermarché, peux-tu acheter du lait?» Le téléphone n'est plus seulement associé à une personne, mais aussi à un lieu, comme le prouvent des services tels que Find my iPhone d'Apple ou Google Latitude. Manifestement, le monde virtuel en sait de plus en plus sur le monde physique.

Des téléphones à tout faire

En France, le système Cityzi est utilisé de manière exploratoire dans la ville de Nice. Selon le site web, par l'entremise de Cityzi et de la technologie NFC (Near Field Communication), votre téléphone vous permet d'accéder facilement à des informations pratiques comme les horaires de transports en commun ou les caractéristiques d'articles en magasin. Ce même téléphone peut aussi être utilisé comme carte de paiement ou comme titre de transport. La confidentialité des données est garantie par le fournisseur de téléphonie mobile.

Des supermarchés «intelligents»

Les données et leur analyse permettent d'aller toujours plus loin et il y a, en Europe toujours, des supermarchés pilotes utilisant des paniers «intelligents». À l'aide des informations recueillies par les cartes de fidélité, ces paniers affichent au client des publicités ciblées. L'impact de ces informations qu'on laisse dans le monde virtuel se fait sentir dans nos vies de manière en apparence anodine.

Une concentration de renseignements inquiétante

En dressant un portrait plus global, force est de constater que, pas à pas, toujours dans le but de nous simplifier la vie, nous laissons des traces dans le monde virtuel et elles ont tendance à se diriger vers la société la mieux placée pour les exploiter. Google nous a impressionnés en créant un catalogue du web dans lequel on peut faire une recherche facilement. Google a ensuite photographié et catalogué les rues de la plupart de nos villes (en laissant négligemment ses voitures enregistrer les renseignements sur les bornes d'accès Wi-Fi qu'elles rencontraient). Google lit aussi nos courriels, de manière automatisée, pour afficher la publicité la plus adéquate. Google peut même savoir où vous êtes, pour vous aider à vous retrouver et à retrouver vos amis. Google vous offre maintenant un téléphone ou, plus exactement, un système d'exploitation qui permet de faire fonctionner un grand nombre de téléphones utilisant tous ses services. Quand Google deviendra-t-il fournisseur de téléphonie mobile pour savoir avec qui nous parlons?

Un chausson avec ça?

Au rythme où vont les choses, on peut s'attendre bientôt à recevoir des messages publicitaires nous indiquant qu'on marche à proximité d'un restaurant qui correspond à nos goûts et qu'il est bientôt l'heure de manger. Nous pouvons aussi nous demander quand notre téléphone nous indiquera que nous devrions profiter du fait que nous sommes près de notre supermarché pour faire l'épicerie, car notre café favori y est en promotion et qu'il ne nous en reste bientôt plus.

Gilles Caporossi est professeur agrégé - Méthodes quantitatives de gestion, à HEC Montréal.