À l'ère du capitalisme financier, la notion de fraude ne doit plus être comprise comme autrefois. Elle n'est pas seulement le geste isolé de quelques individus cupides comme Vincent Lacroix ou Bernard Madoff.

«Cette perception trop étroite ne permet plus de rendre compte des comportements de la criminalité en réseaux ni du fonctionnement des institutions contemporaines, qui mêlent en permanence le légal avec l'illégal et l'informel», écrit Jean de Maillard dans L'Arnaque: La finance au-dessus des lois et des règles.

 

Dans cet essai corrosif, il démontre avec force détails comment la transgression s'est immiscée dans la mécanique même du capitalisme, à la faveur de l'abandon par les États de leurs responsabilités en matière de réglementations et de cadres juridiques. La mondialisation n'aura qu'accéléré cette dynamique avec laquelle il faut désormais composer.

C'est avec cette grille d'analyse que Maillard revisite la dernière crise financière.

Les subprimes

Ainsi, si la bulle des subprimes a pu naître, c'est parce que les banques ont appâté les clients avec des taux réduits les premières années et fermé les yeux sur les mensonges de certains emprunteurs qui gonflaient leurs revenus pour se qualifier.

C'est aussi parce que les courtiers en hypothèques qui agissaient comme prêteurs pour les banques étaient payés au rendement. Peu leur importait que les dossiers soient vrais ou faux.

Les banques saucissonnaient les prêts hypothécaires en produits structurés. Des titres (papier commercial, billets à terme, obligations) adossés à ces mêmes hypothèques, étaient vendus par des filiales (les fameux conduits) basées dans des paradis fiscaux.

Ces derniers, qui avaient la triste réputation de favoriser l'évasion fiscale, puis le blanchiment d'argent, se sont refait une vertu en devenant aussi des paradis juridiques et réglementaires pour le capital financier.

Pour que la roue des subprimes tourne, les banques devaient toujours trouver de nouveaux emprunteurs que les courtiers étaient chargés de rabattre.

Toute cette affaire ressemble à un vaste schéma de Ponzi, plaide Maillard. «Dans l'affaire des subprimes, le coup de génie est que l'emprunteur entre dans une mécanique où il est pour lui-même en quelque sorte son propre escroc. Le banquier, qui ne fait que financer son investissement sans y participer personnellement, en est toutefois le seul gagnant.»

Quand l'emprunteur arrivait au terme de ses trois ans de prêt à taux réduit, il se retrouvait incapable de faire face à ses nouvelles obligations. Comme le prix de sa propriété avait augmenté, il refinançait sa maison pour bénéficier de deux autres années à taux réduit jusqu'à ce que la bulle éclate, et le ruine. «Il doit donc payer pour rester dans le circuit des emprunteurs, mais il paye à un tiers, le banquier, qui fournit les fonds donnant le droit de rester dans la pyramide.»

Maillard s'attaque, avec la même logique décapante, au rôle des fonds spéculatifs qui ont fait grimper le prix du baril de pétrole à près de 150$US en juillet 2008.

Sa démonstration est toujours appuyée sur une solide documentation factuelle qui empêche de réduire son essai au pamphlet.

Ses conclusions sont sombres, on l'aura deviné. La transgression est déjà à l'oeuvre alors qu'on sort à peine de la crise financière qu'elle a engendrée.

Nouvelles entités

Il explique ainsi le rôle de nouvelles entités non réglementées comme les dark pools (bassins opaques), où peuvent être négociés de gros blocs d'actions sans que les parties connaissent les prix demandés ou offerts, ou les flash orders, sortes de commandes électroniques passées et annulées dans la même nanoseconde, menées par des logiciels puissants comme ceux de Goldman Sachs, afin de tester le bénéfice possible d'une transaction.

Et de conclure Maillard: «Dans la finance Ponzi, personne ne se cache, car c'est le système dans son entier qui, par sa propre structure, est une entreprise de spoliation.»

L'arnaque: La finance au-dessus des lois et des règles

Jean de Maillard. Gallimard. Paris, 2010. 304 pages.