Périodiquement, La Presse Affaires fera la recension d'ouvrages économiques ou financiers marquants, susceptibles d'intéresser ses lecteurs. Nous commençons cette nouvelle rubrique avec Too Big to Save ? How to Fix the U.S. Financial System, de Robert Pozen, que nous avons aussi interviewé.

Sans aucun doute, les règles qui régissent le système financier américain et qui ont facilité l'avènement de la crise récente seront amendées cette année, même si les démocrates ne disposent plus de leur super-majorité au Sénat.

D'ascendance républicaine, Robert Pozen plaide d'emblée que la solution ne consiste pas à limiter les activités de courtage, de preneur ferme ou de titrisation des grandes banques, comme le veut la Maison-Blanche, pas plus qu'à revenir au cloisonnement entre banques avec ou sans activités de dépôt, comme c'était le cas jusqu'en 1999, comme le préconisent quelques sénateurs républicains comme John McCain.

«C'est un rêve d'avocats», résume-t-il.

La réforme nécessaire devra se faire en tenant compte de ce qui existe ou va changer ailleurs dans le monde. «Compte tenu de la mondialisation des services financiers, il serait impraticable d'empêcher des banques américaines d'être actives dans l'industrie des valeurs mobilières à partir de filiales à l'étranger», écrit-il.

«Il serait préférable, comme l'a déjà suggéré le président Obama, de suivre l'exemple du Canada où les banques universelles se sont bien tirées d'affaire durant la crise financière grâce à un encadrement réglementaire efficace de leurs activités de dépôts et de prêts et de leurs pleins pouvoirs en matière de valeurs mobilières.»

Dans son ouvrage, conçu de son aveu davantage pour le lecteur intelligent que pour le spécialiste, M. Pozen démonte le dérèglement de la mécanique à l'origine de la crise financière et de la récente récession.

Il décortique la propagation des hypothèques à risques. Il explique le fonctionnement de leur titrisation sophistiquée et opaque (titres adossés à des hypothèques (MBS), swaps de défaillance (CDS), ou obligations sur nantissement (CDO)).

Il montre les failles des modèles mathématiques mis au point par des cracks dépourvus de toute information qualitative. Il critique au passage la collusion d'Alan Greenspan et de Wall Street pour soustraire à toute forme de contrôle ou de réglementation spécifique l'industrie des produits financiers structurés.

M. Pozen analyse aussi dans tous leurs détails chacun des gestes faits par les administrations Bush et Obama, de concert avec la Réserve fédérale (Fed), pour sauver le système financier.

Sans jouer au gérant d'estrade, il remet en question le plan de sauvetage dessiné par Henry Paulson. Après avoir annoncé le rachat des actifs toxiques, il a plutôt offert du capital et des prêts à des taux alléchants à toutes les institutions. Même à celles qui n'en avaient pas besoin, comme JP Morgan ou Goldman Sachs. Même à celles dont l'effondrement n'aurait pas créé de risque systémique.

À son avis, laisser tomber American Express ou l'assureur Genworth aurait été préférable à leur sauvetage afin de ne pas propager l'aléa moral très ressenti par le peuple américain.

«Je suis un modéré. Une poignée d'institutions devaient être sauvées, pas toutes, explique M. Pozen. Je dois convaincre des sénateurs républicains qui s'opposent à tout sauvetage.»

Rien d'irréparable

Dans son ouvrage, dont le tirage atteint déjà 10 000 exemplaires, M. Pozen rappelle que la chute de Drexel Burnham Lambert, principal preneur ferme d'obligations d'entreprises au début des années 90, n'a rien eu d'irréparable.

De même, les contreparties de l'assureur AIG, principal émetteur de swaps de défaillance, n'auraient pas dû être indemnisées à 100% par la Fed. D'autant plus que des banques étrangères comme Société Générale ou UBS figuraient parmi les plus gros acheteurs de CDS émis par AIG et ont bénéficié de l'argent des contribuables américains.

L'auteur propose enfin que le rôle de la Réserve fédérale soit limité à la politique monétaire. Pour assurer son indépendance, les milliards d'actifs toxiques hérités des sauvetages de Bear Stearns et d'AIG et toujours à son bilan devraient être transférés au Trésor.

Enfin, compte tenu de la dette colossale des États-Unis détenue par les étrangers, la Fed devrait se doter d'une cible d'inflation dans la conduite de sa politique monétaire, comme en a la Banque du Canada. Les créanciers des États-Unis seraient ainsi rassurés: si les prix grimpent trop vite, les taux d'intérêt vont monter. «La Fed doit agir vite en ce sens. C'est politiquement plus facile d'adopter une cible d'inflation quand les taux directeurs sont modestes plutôt que quand ils sont élevés.»