Austérité, rigueur ou politique restrictive: quel qu'en soit le nom, les cures d'amaigrissement promises par les États pour résorber leurs déficits, sous la pression des marchés, risquent selon des économistes de couper les ailes d'une reprise qui peine déjà à décoller.

Mais, soulignent certains experts, laisser les dettes s'accumuler peut aussi être un frein à la croissance future.

«Les marchés disent aux États: "réduisez vos déficits le plus vite possible", mais les macroéconomistes répondent: "attendez que la reprise soit bien assurée"», résume Henri Sterdyniak, de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

«Si dans plusieurs pays on annonce le gel des salaires des fonctionnaires, des réductions des remboursements de santé et des diminutions du niveau des retraites, les gens vont renoncer à leurs achats et ça va peser lourdement sur la reprise», prévient-il.

Andrew Scott, de la London Business School, lui fait écho: «Les économies ont été durablement affaiblies par la crise, on ne peut pas leur imposer de se rétablir en si peu de temps.»

D'autant que les déficits honnis des marchés financiers ont été creusés en grande partie pour faire face à une récession historique à laquelle ces mêmes marchés ne sont pas totalement étrangers.

Pour l'instant, la pression semble fonctionner.

Les pays les plus visés, comme la Grèce et l'Espagne, ont déjà dû commencer à fermer les vannes budgétaires, alors qu'ils étaient encore en récession fin 2009 et que le Fonds monétaire mondial (FMI) lui-même recommande en général d'attendre le retour de la croissance pour assainir les finances publiques.

Et Athènes, dont le plan draconien vise déjà à réduire son déficit de 4 points du produit intérieur brut (PIB) en 2010, a dû promettre jeudi à ses homologues européens de faire des économies «supplémentaires» si nécessaire.

«Ces plans ont un coût politique très important», reconnaît Cédric Tille, de l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, au moment où des manifestations contre certaines mesures d'austérité se préparent dans plusieurs pays.

Mais le coût peut aussi être économique.

Selon l'OFCE, un institut jugé keynésien, si un pays met en oeuvre un plan de restriction budgétaire qui comporte des réductions de dépense et/ou des augmentations d'impôts représentant au total 1% du PIB, cela va réduire d'autant la croissance par rapport à ce qu'elle aurait été sans ces mesures.

Pire, si les pays européens et les États-Unis décident de réaliser le même effort au même moment, une restriction budgétaire de 1% du PIB met en jeu 1,5 point de croissance, en raison d'un effet multiplicateur.

Or, met en garde Henri Sterdyniak, cette moindre croissance - ou cette récession - va rogner les recettes fiscales, sur lesquelles beaucoup d'États comptent pour renflouer leurs caisses, et au final, la réduction du déficit ne sera donc pas aussi importante qu'espéré.

Pour autant, plusieurs économistes estiment que ces efforts sont indispensables pour garantir la croissance de demain.

«Sur le long terme, si les finances publiques ne sont pas soutenables, cela va avoir un poids sur la croissance», explique Cédric Tille.

«Bien entendu, les États-Unis, la France ou l'Allemagne ne doivent pas réduire drastiquement leurs dépenses et augmenter fortement leurs impôts au 1er janvier 2011», admet de son côté Jeffrey A. Frankel, professeur à Harvard.

«Mais le danger, c'est qu'on finit par se dire que ce n'est jamais le bon moment pour réduire le déficit, car c'est toujours douloureux pour telle ou telle catégorie d'électeurs, ajoute-t-il. Si on ne le fait jamais, on finit par se retrouver dans la situation de la Grèce aujourd'hui...»