Les salaires et primes au Royaume-Uni n'ont rien à voir avec les rémunérations stratosphériques aux États-Unis, même à la City, le coeur financier de Londres. C'est pourtant ce pays qui, le premier, a forcé ses entreprises en Bourse à soumettre la rémunération de leurs grands patrons au vote des actionnaires.

La grogne a commencé au début des années 90. À l'époque, les dirigeants d'anciennes sociétés des travaux publics privatisées par le gouvernement de Margaret Thatcher ont reçu de faramineuses hausses de salaires pour des profits qui tenaient davantage de leurs clientèles captives qu'à leurs talents de gestion.

 

Puis il y a eu, plus largement, un rattrapage salarial accéléré chez les grands patrons britanniques. Ils ont vu leur rémunération progresser de 600% entre 1979 et 1994, souligne Randall Thomas, professeur de management à l'école de droit de l'Université Vanderbilt, au Tennessee.

Le gouvernement conservateur de John Major s'en est remis à un comité patronal britannique. Sa conclusion: une transparence plus grande suffira à contenir les excès.

Toutefois, selon certains experts, la divulgation de la rémunération a plutôt eu l'effet contraire. Les consultants en ressources humaines ont entré ces salaires et primes dans leurs bases de données. Puis les comparaisons entre entreprises ont alimenté la spirale inflationniste.

Au début des années 2000, un PDG britannique gagnait le tiers de son équivalent américain, selon une étude des consultants Mercer. Mais au fil des années, l'écart entre les rémunérations des PDG, d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, a rétréci, pour le plus grand bonheur des tabloïds, qui s'en sont donné à coeur joie.

«Le sujet est devenu très politisé», dit Colin Melvin, chef de la direction de Hermes Equity Ownership Services, le consultant en gouvernance affilié au gestionnaire de fonds Hermes, de Londres.

Le gouvernement travailliste de Tony Blair est intervenu en 2002. Depuis, les entreprises en Bourse doivent soumettre leur rapport de rémunération à un vote consultatif, une fois l'an. Seules exceptions: les entreprises étrangères inscrites à la cote d'une Bourse britannique et celles dont les titres se négocient sur le marché parallèle AIM.

Les actionnaires britanniques ont utilisé ce nouveau droit avec beaucoup de discernement. Très rares sont les entreprises qui ont perdu le vote sur leur rémunération. L'un des cas les plus publicisés est celui de GlaxoSmithKine. En 2003, la généreuse prime de départ accordée au chef de la direction, Jean-Pierre Garner, a révolté les actionnaires. Ils ont voté à 50,7% contre.

La société pharmaceutique s'est défendue en faisant valoir que sa rémunération devait être concurrentielle avec celle des rivaux de Glaxo aux États-Unis. Mais, à la suite de cette déconvenue publique, elle a changé son fusil d'épaule en multipliant les rencontres avec les groupes d'actionnaires. C'est ainsi qu'à l'assemblée annuelle de 2004, Glaxo a présenté une rémunération sensiblement transformée.

«La plupart des entreprises préfèrent négocier avec les représentants des actionnaires, plutôt que de soumettre au vote une rémunération controversée et de perdre la face, note Colin Melvin. Toute l'action se passe donc avant le vote.»

Selon ce consultant, le vote consultatif a contribué à démocratiser les entreprises. Auparavant, seuls les grands investisseurs institutionnels avaient accès aux administrateurs pour discuter de rémunération. «Les investisseurs petits et moyens ont maintenant leur mot à dire», dit-il.

Élever le débat

À ses yeux, le vote consultatif a non seulement élargi, mais élevé le débat au Royaume-Uni. «Les investisseurs portent plus d'attention à la perspective à long terme, en repoussant les mesures incitatives qui amèneraient les dirigeants à prendre des décisions qui sont payantes à court terme, mais mauvaises à long terme», dit Colin Melvin.

Quel a été l'effet du vote des actionnaires sur la rémunération? À partir de cas isolés, certains observent que les indemnités de départ, qui atteignaient deux ou trois fois la rémunération annuelle, se sont dégonflées à une année de salaire et de prime.

Deux chercheurs de Harvard, Fabrizio Ferri et David Maber, ont étudié plus scientifiquement la loi, en comparant la rémunération des entreprises avant et après son adoption.

Le vote consultatif n'a pas fait tomber, d'un grand coup, la rémunération au Royaume-Uni, concluent-ils. Pas plus qu'il n'a mis un terme à l'hyperinflation des salaires et des primes, qui découle des lois du marché. Mais, il a diminué les «récompenses à l'échec» les plus grossières, en arrimant mieux les primes aux résultats de l'entreprise. En ce sens, il a fait mouche.

Le vote consultatif pose une question fondamentale: qui détermine la rémunération des grands patrons? Les défenseurs des droits des actionnaires considèrent qu'ils devraient avoir un droit de veto sur les décisions du conseil. Alors que les administrateurs jugent que seul le conseil peut établir la rémunération.

«Le vote consultatif, conclut le professeur Randall Thomas, c'est au mieux un compromis malaisé entre les deux.»