Quand on demande à un patron si ses employés sont stressés, il arrive souvent de l'entendre répondre qu'ils le sont... juste assez! Le stress positif comme moteur de performance est reconnu depuis longtemps par la majorité des psychologues, et on en parle dans la plupart des manuels de gestion.

«Le stress positif est ce qui met du piment dans notre vie et on en a besoin, dit Richard Pépin, professeur en comportement organisationnel à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il est bénéfique dans la mesure où ça ne dépasse pas nos capacités d'adaptation.»

 

Quand on donne à un employé des objectifs élevés mais accessibles, on crée un stress positif qui le stimulera, explique M. Pépin. C'est un facteur d'accomplissement.

«Un stress positif encourage à aller au-delà de nos limites et à trouver un sens à notre vie et à notre travail, dit-il. L'employé qui n'a aucun stress au travail est celui qui a complètement décroché. Il est un poids pour l'organisation.»

Un mythe, selon certains

Mais tous ne sont pas du même avis. Éric Gosselin, professeur de psychologie du travail et des organisations à Université du Québec en Outaouais, considère plutôt le stress positif au travail comme un mythe tenace et une croyance populaire qu'il faut dénoncer.

Le stress serait positif et améliorerait la performance tant qu'il ne dépasse pas un certain degré. Au-delà de ce point d'équilibre, si le stress augmente davantage, la performance chute et le stress devient détresse.

«Tout le monde utilise cette notion, et tous les livres de base en psychologie du travail présentent de cette façon la relation entre le stress et la performance, dit Éric Gosselin. Mais en réalité, très peu d'études scientifiques démontrent que c'est vrai.»

Colette Richard, étudiante à la maîtrise sous la supervision de M. Gosselin, a recensé 52 études sur le lien entre le stress et la performance au travail, menées entre 1980 et 2006. Elle a constaté que 75% de ces études démontrent au contraire que plus le stress au travail est élevé, plus la performance diminue.

Mais il reste que la notion de stress positif domine largement. «On y croit parce que ça semble logique, dit Éric Gosselin. Mais scientifiquement, dans l'état des connaissances actuelles, on n'est pas capable de le démontrer.»

Le professeur est si convaincu qu'il faut combattre cette idée qu'il donne une conférence sur le sujet, présentée en avril au Canal Savoir.

«Il faut que les gens soient informés parce que, actuellement, il y en a qui sont stressés et qui pensent que c'est bon, dit-il. En même temps, dans les organisations, on se base sur l'idée que le stress est positif s'il est bien dosé, et on essaie de soumettre nos travailleurs à un stress moyen pour qu'ils soient le plus performants possible.»

Ainsi, quand les patrons disent que leurs employés sont «juste assez» stressés, si on demande l'avis des employés, on se rend souvent compte que ceux-ci n'en peuvent plus, ajoute le chercheur.

Perception et gestion du stress

Gérard Ouimet, professeur agrégé en psychologie organisationnelle à HEC Montréal, assure que le stress positif existe.

«Le stress n'est pas une maladie, c'est une réaction d'adaptation de l'organisme à une situation stressante, dit-il. C'est la perception de l'individu qui fait que le stress est positif ou négatif. Par exemple, un gardien de but qui aime être mis au défi, pour lui, c'est un stress positif de recevoir beaucoup de tirs.»

Toutefois, il reste que, sur le plan biologique, le résultat est le même. Si le stress est prolongé, même s'il est perçu de façon positive, il aura un impact sur la santé, ajoute M. Ouimet.

Et s'ils ne s'entendent pas sur les «bienfaits» du stress, nos chercheurs s'accordent à dire que les organisations doivent donner à leurs travailleurs des conditions qui favorisent leur bien-être.

Selon Éric Gosselin, les entreprises doivent être sensibilisées au fait que, si elles veulent des travailleurs productifs et créatifs, il faut leur fournir un environnement de travail moins stressant. Le stress au travail a augmenté au cours des dernières années, selon lui. Et il a des conséquences sur la santé.

«Plus on se soumet à des sources de stress, plus on va avoir des problèmes de santé, dit-il. On voit d'ailleurs de plus en plus des jeunes souffrir d'épuisement professionnel.»

Il faut aussi passer d'une gestion du stress au travail à une gestion des agents de stress sur une base individuelle. L'employé lui-même a la responsabilité d'avoir une vie équilibrée.

«Si quelqu'un se place dans une situation stressante pour faire avancer sa carrière, par exemple, c'est son choix, dit Éric Gosselin. Mais il doit alors limiter son exposition au stress dans les autres sphères de sa vie.»