Cinq, huit, 10, 11 enfants... Mais comment font-ils pour arriver? Héroïsme? Inconscience? Plutôt organisation et débrouillardise. Laissez-nous vous raconter quelques belles histoires, très de saison...

Cinq, huit, 10, 11 enfants... Mais comment font-ils pour arriver? Héroïsme? Inconscience? Plutôt organisation et débrouillardise. Laissez-nous vous raconter quelques belles histoires, très de saison...

Dans l'entrée, une dizaine de paires de bottes sont soigneusement alignées, en rang deux par deux, comme prêtes à défiler.

En face s'ouvre la cuisine. Une longue table - près de quatre mètres! - s'étire jusque dans une alcôve vitrée, spécialement ménagée dans le mur arrière.

Il s'agit là d'un des nombreux aménagements réalisés par Gaétan Fontaine dans cette maison de plain-pied, autrement ordinaire, à Laval.

Aménagements indispensables... La table de réfectoire accueille tous les soirs huit enfants de 4 à 16 ans.

«Je fais tous les métiers dans la maison», confie Gaétan Fontaine. Électricien, menuisier, mécanicien... Il réussit à conserver en état de rouler une fourgonnette vieille de 15 ans, à laquelle il a ajouté deux sièges en vis-à-vis, dans l'étroit compartiment à bagages, pour en porter la capacité à 10 passagers. Il fait même office de coiffeur, ce qui ne va pas sans critiques: Gabriel, 13 ans, refuse désormais de lui confier sa tête abondamment chevelue.

Le couple doit compter sur le salaire de Gaétan, électricien chez Via Rail, et sur les revenus de location d'un triplex acheté avant son mariage.

Les prestations familiales complètent l'enveloppe. Le ménage touche à ce chapitre 22 800 $ par année, constate la maman, Francine Bédard, ce qui couvre en bonne partie les frais de nourriture, supérieur à 400 $ par semaine. «Une visite chez Costco coûte 800 $, et ça prend deux paniers», dit-elle en riant.

La cuisine est simple, saine, et créative. «Papa fait du pâté chinois aux lentilles, explique Antoine, 10 ans. C'est dégueulasse.»

Des rires. Des sourires. Peu de soupirs. «Les enfants ne sont pas demandants», souligne la maman. Gabriel en profite pour intervenir, après quelques silencieuses ruminations: «Je viens d'apprendre qu'on reçoit 22 000 $ par année pour les enfants et nous, on a seulement 100 $ par année en allocations!»

Son calcul est juste: chaque enfant touche 2 $ par semaine en argent de poche. Mais les principes familiaux sont stricts et connus de tous. «Quand on n'a pas d'argent, on n'achète pas», énonce Gaétan Fontaine. L'an passé, le couple avait 9000 $ comptant à consacrer à une nouvelle voiture. Il a acheté une Toyota d'occasion pour 9000 $, taxes incluses. Pas un sou de plus.

La sonnette de l'entrée tinte. Une voisine apporte un sac avec quelques gâteries emballées qui rejoindront les autres présents sous le sapin.

C'est un exemple de la générosité des proches. Les vélos, tous d'occasion, ont souvent été donnés - ce qui sollicite encore les talents du papa. «Avant de partir en randonnée, je mets deux heures à arranger les vélos.»

Les loisirs sont variés - natation, soccer, judo, camping... - mais peu coûteux. Les membres de la famille ne vont au resto que deux à deux, parent et enfant, à l'occasion d'un anniversaire. «On est déjà allés tous ensemble au restaurant: on a fait peur à la serveuse, rigole Francine Bédard. Elle nous a demandé si on était une garderie!»

Les enfants ne vont au cinéma que lorsqu'ils ont accumulé l'argent nécessaire au billet. Mais qui s'en soucie?

«Notre famille, c'est un film, commente la petite Marie, âgée de 8 ans. Il y a plein d'histoires et d'action.»

Courage et débrouille

Josée Dubois n'a pas lu dans nos pages notre appel aux familles nombreuses. Avec cinq enfants, elle n'a pas d'argent à consacrer aux journaux. «C'est une copine dont je garde l'enfant qui m'a dit ce matin : tu sais t'organiser, tu devrais appeler le monsieur.»

Elle a appelé le monsieur. Et elle sait s'organiser.

La femme de 40 ans a eu trois enfants d'un premier père, ils sont âgés de 13 à 17 ans. Elle en a ajouté deux autres, âgés de 1 et 2 ans, avec son conjoint actuel.

«Il m'a quitté pour aller réfléchir un peu parce qu'il trouve ça difficile, confie-t-elle. J'espère qu'il va revenir avant les Fêtes.»

La débrouille, elle connaît.

Pour gagner sa vie, cette enseignante préscolaire a ouvert une garderie à la maison. Elle est propriétaire d'une petite maison jumelée, à Laval, payée 75 000 $. Son père a endossé le prêt, qu'on lui aurait autrement refusé.

Vêtements? Friperies et compagnie. «Quand on nous apportait un sac de vêtements, on s'en faisait un party, une parade de mode, raconte Mme Dubois. Les enfants étaient contents. Ils ne se sont jamais arrêtés aux marques.»

Deux de ses enfants jouent au hockey. Sport coûteux? «Je n'ai jamais acheté un équipement neuf, affirme-t-elle. J'ai toujours couru les ventes de garage, l'été, à vélo.»

La facture d'épicerie varie de 200$ à 225$ par semaine, incluant la nourriture de la garderie. Un miracle culinaire. Quand la facture est inférieure à 225$, le solde est versé dans le compte d'épargne. «C'est comme ça que je paie les cadeaux de Noël et la rentrée scolaire.»

Mots d'ordre: optimisme et courage. «Je m'organise bien, il faut travailler fort et ne pas se laisser abattre.»

Jamais.

«Avec mon mari, ça va se replacer. On se voit ce soir.»

10 fois millionnaire

«Bonjour, madame Fortin?

«Bonj... Attrape ton petit frère, il va tomber!» L'appel tombait mal, lui aussi: c'était le retour de l'école, en fin d'après-midi.

La courageuse Nathalie Fortin est mère de 10 enfants, étagés de 4 à 19 ans, tous du même et non moins courageux papa, Jude Bouchard. Ils habitent à La Baie, au Saguenay, dans une petite maison en briques, «toute simple, décrit Mme Fortin, mais c'est la nôtre».

Quelques chiffres. Lait: 24 litres par semaine - «on va devoir s'acheter une vache», lance-t-elle avec ce rire qui jaillit à tout propos.

Recette de sauce à spaghetti : 26 à 36 litres, dont l'essentiel sera congelé.

Brocoli pour un seul repas: trois bouquets. Des gros.

Pour les pâtés de viande des Fêtes - ce qu'à Montréal nous appelons tourtière (hérésie!) -, Nathalie Fortin a acheté 10 kilos de porc haché. Elle a aussi confectionné 333 egg-rolls - une curieuse tradition saguenéenne de Noël. Elle s'est toutefois restreinte côté beignes: à peine 354, plutôt que les 600 de l'année précédente.

Les revenus du papa sont d'environ 30 000 $. Les divers programmes sociaux y ajoutent une somme à peu près équivalente.

Les cadeaux de Noël ? L'an passé, le budget permettait 20$ par enfant. «Cette année, j'ai travaillé, je vais mettre un peu plus.» Car pour aider à franchir la difficile rentrée des classes, Mme Fortin fait des ménages depuis un an.

«Sans enfant, ma vie n'aurait aucun sens, assure-t-elle. Certains rêvent de gagner le million. Moi, des millions, j'en ai 10.»

Problèmes et bonheur en paquet de deux

France Rivard a laissé un message dans la boîte téléphonique. Elle est mère de six jeunes enfants, dont deux couples de jumeaux, respectivement âgés de 4 ans et de 8 mois. «S'il y a quelque chose, a-t-elle dit, vous pouvez me joindre, je suis presque toujours à la maison.» On peut comprendre.

La petite famille habite à Saint-Basile-le-Grand, en Montérégie. Le couple désirait quatre enfants. Après les deux premiers et un couple de jumeaux, le compte y était. «Mais c'est comme si on n'était pas rassasiés, confie-t-elle. Je ne suis pas capable de vous donner une raison.»

Quand elle apparaît avec sa tribu, les questions fusent. «Il y a souvent des préjugés. On nous demande si on vient de la campagne, si on fait partie d'une autre religion. Six enfants, ça semble anormal.»

Elle reconnaît que deux paires de jumeaux posent quelques défis de logistique. «C'est un désavantage jusqu'à ce qu'ils soient capables de s'amuser en même temps. Il y a beaucoup plus de dépenses au départ. Ils veulent les mêmes choses au même moment. Et la mobilité est plus difficile.»

Heureusement, certains magasins accordent 10 à 15% de rabais aux jumeaux. Une pharmacie qui donne un montant forfaitaire de 750 $ aux familles de triplets a fait exception pour France Rivard, par égard à ses deux couples de jumeaux.

Avocate, elle pratiquait dans un cabinet privé jusqu'à son deuxième enfant. Elle a cherché un emploi à l'horaire moins échevelée, qu'elle a trouvé dans une société paragouvernementale. «J'ai une carrière moins relevée, mais je n'ai aucun regret car je l'ai décidé.»

Composer avec la recomposition

Cinq enfants. «Ce n'est pas par choix, lance Lise Thibault. J'ai aimé le gars et tout ce qui venant avec.» Ce qui venait avec, c'était notamment trois garçons de 8 à 14 ans, qui s'ajoutaient à son propre duo de 6 et 7 ans

Mais la troupe est maintenant bien rodée.

«Quand c'est l'heure de la corvée de ménage, chacun a son propre rituel et donne un coup de main, raconte Mme Thibault. Chacun s'occupe de son propre lavage.»

Le plus vieux, qui a maintenant 22 ans, habite encore à la maison. «On n'a pas le choix de lui demander une pension alimentaire. Il faut qu'il nous aide.»

Parce que le second enfant est diabétique, ses parents avaient droit à un supplément de prestations familiales. «On a perdu 425 $ par mois depuis qu'il a eu 18 ans, en septembre, poursuit Mme Thibault. C'est comme si on venait de s'acheter une auto. Ça fait très mal dans le budget.»

Le couple a aménagé un appartement au sous-sol, qui leur rapporte 450 $ par mois. C'est un espace dont la famille aurait bien besoin, mais ce revenu est encore plus utile.

«Pour une famille qui n'est pas venue au monde ensemble, ça va bien, conclut la maman. Mais il faut que l'amour entre les conjoints soit très fort.»

Carrière et famille fructueuses

Un diplôme d'ingénieur en électricité. Un certificat en droit. Un MBA. Quelques cours en architecture. Un emploi à temps plein dans un organisme parapublic. Une micro-entreprise de construction avec son conjoint.

Et cinq enfants, de deux pères différents, âgés de 2 mois à 14 ans.

«Je dors bien, nous rassure Danielle Dubois. C'est une question de tempérament. Il ne faut pas être angoissé et il faut pouvoir compartimenter sa vie.»

Elle a même trouvé le temps de dessiner sa propre maison. «Je l'ai conçu en fonction de la logistique», assure-t-elle. Ça ne fait aucun doute: elle contient six chambres.

La professionnelle de 40 ans n'a jamais craint la famille. Elle a eu son premier enfant à 25 ans.

Mais il faut y mettre le temps. Si elle passe rarement plus de 40 heures au bureau, elle a dû s'organiser pour travailler à la maison. «Ce qui va moins bien, c'est le ménage. J'ai pris la décision de ne pas avoir une maison super propre.» Sa carrière non plus, malgré les apparences, n'est pas aussi impeccable qu'elle l'aurait souhaitée. «J'aurais aimé avoir plus de responsabilité et de défis, voyager...»

Depuis peu, cependant, elle est responsable des rénovations du métro de Montréal. " Avec ce poste, j'ai trouvé quelque chose qui me comblait professionnellement. "

On lui demande souvent son avis sur la conciliation entre la famille et la carrière. «Pas besoin d'avoir 35 ans, une maison, une auto, etc., pour avoir des enfants, constate-t-elle. Ça fait partie de la vie.»

La vie est un jardin de roses... épines comprises

Jean-Denis et Diane Lampron cultivent les roses et les enfants. Des millions des premières. Onze des seconds.

L'exploit est d'avoir mené les deux aventures simultanément.

En mai 1996, au milieu de difficultés financières, Jean-Denis Lampron a été évincé de l'entreprise de culture de roses en serre dont il avait été l'initiateur. Il l'a racheté peu de temps après, pour lui donner son nom actuel de Rose Drummond.

«J'étais enceinte de la onzième et cette année-là, on a reçu des paniers de Noël», se remémore Diane Lampron. À l'époque, le revenu familial n'avait pas dépassé 20 000 $.

Un couple d'amis a longtemps donné à la famille Lampron les jouets délaissés par leurs deux enfants, remis à neuf. «L'année où Jean-Denis a perdu son emploi, c'est l'année où il y a eu le plus de cadeaux sous le sapin», se remémore Mme Lampron.

Une autre amie visitait les comptoirs de vêtements, achetait les plus beaux, les lavaient, les repassaient, les pliaient et les emballaient avant de les leur amener.

«On a toujours fait des économies d'échelle. On élevait des poulets de grain, on faisait du lapin... Je cousais, en plus. Car le commerce de roses ne suffisait pas.»

Leur maison a compté jusqu'à 11 chambres à coucher... dont quatre ont été réservées pendant neuf ans à un gîte du passant. Ces revenus supplémentaires permettaient à la petite famille de partir chaque été en vacances.

«Quand on a eu notre cinquième, on nous a conseillé de nous acheter une télé», narre Mme Lampron. Ils ont obtempéré après que la monitrice de maternelle eut demandé à sa fille de commenter l'émission Passe-Partout de la veille. Efficacité contraceptive de l'acquisition: zéro. «Ça ne nous a pas empêché d'en avoir six autres.»