Le nom d'un des hommes d'affaires les plus prospères du Québec, Lino Saputo, figure dans une enquête de la police italienne sur une opération de blanchiment de 600 M$ par la mafia sicilienne, indiquent des documents judiciaires italiens obtenus par La Presse.

Le nom d'un des hommes d'affaires les plus prospères du Québec, Lino Saputo, figure dans une enquête de la police italienne sur une opération de blanchiment de 600 M$ par la mafia sicilienne, indiquent des documents judiciaires italiens obtenus par La Presse.

Au cours d'une entrevue, M. Saputo, 70 ans, a toutefois affirmé de façon catégorique qu'il ne connaît ni Vito Rizzuto ni les gens qui ont utilisé son nom et qu'il n'a rien à voir avec cette affaire de recyclage d'argent en Italie.

«Ça n'a pas de sens. Je suis victime de ma réputation. Quelqu'un se sert de mon nom à mon insu. Ça n'a pas d'allure d'investir dans quelque chose comme ça, même une piastre, ça n'a pas de bon sens», a déclaré le président du conseil d'administration du Groupe Saputo.

La police italienne a néanmoins demandé l'aide de la police canadienne, plus précisément à l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé (UMECO), notamment pour établir si l'homme d'affaires a, ou n'a pas, de liens avec le parrain montréalais Vito Rizzuto.

À la fin d'octobre, la police italienne a arrêté une quinzaine de personnes dans le cadre d'une enquête sur un réseau dirigé par Vito Rizzuto, actuellement en prison au Colorado. Un des accusés s'appelle Mariano Turrisi, considéré comme un homme de paille du chef mafieux montréalais, en Italie.

Turrisi avait créé deux entreprises, Made in Italy, une à Rome et l'autre à Philadelphie, dont le but officiel était d'aider les entreprises italiennes à s'étendre sur les marchés internationaux.

L'année dernière, il a demandé à son avocat américain d'incorporer une troisième entreprise, cette fois en Floride, sous le nom de Saputo Enterprise Corporation.

Selon la police, Made in Italy était une coquille vide, mais Turrisi avait planifié de la vendre 600 millions de dollars à Saputo, par un jeu complexe de transactions impliquant diverses entreprises, dont Saputo Enterprise Corporation. L'argent ainsi blanchi aurait abouti dans les coffres du clan Rizzuto.

Un document de 176 pages de la Direzione Investigativa Antimafia (DIA, escouade d'enquête antimafia) daté du 22 octobre 2007, et obtenu par La Presse, cite des extraits de conversations de Turrisi captées par écoute électronique.

Ces extraits ou les commentaires qui les accompagnent mentionnent à quelques reprises le nom de Lino Saputo.

Les enquêteurs précisent que Rodolfo Fedi, un collaborateur de Turrisi, «a pleine connaissance que Saputo est seulement un intermédiaire dans la complexe opération financière qu'ils sont en train de réaliser, parce que le destinataire final est Rizzuto».

Lorsque Turrisi affirme que «le roi du fromage» donnera 600 M$, les enquêteurs notent que Turrisi fait allusion à M. Saputo.

Aucune écoute électronique n'a capté de conversation d'un des mafieux présumés avec Lino Saputo ou avec des dirigeants de son entreprise. Rien n'indique que M. Saputo était au courant que son nom était utilisé par Turrisi et ses complices.

La dernière page de la demande d'entraide envoyée par la police italienne à l'UMECO mentionne ceci: «La Guardia di Finanza (la police du fisc) a intercepté des conversations où l'on comprend qu'une opération de cessions des sociétés Made in Italy spa et Made in Italy inc. à l'entrepreneur canadien Lino Saputo pour la somme de 600 millions de dollars US est en cours.»

Le document, rédigé par le procureur Adriano Iasillo, ajoute que: «Les sociétés Made in Italy spa et Made in Italy inc. sont essentiellement des boîtes vides et donc, nous pensons que l'opération est faite dans le but d'attribuer à la famille Rizzuto les 600 millions de dollars... Il serait extrêmement utile d'obtenir de l'UMECO tout élément qui prouve le lien entre Saputo et Rizzuto.»

Cette information de demande d'entraide a été publiée dans l'hebdomadaire italien L'Espresso le 22 novembre. La Presse et le Globe and Mail ont tenté d'en savoir plus. Répondant par courriel à une série de questions, un porte-parole de la Guardia di Finanza a écrit ceci :

«Le projet entrepris par les suspects comprenait la création d'une structure de sociétés complexe qui aurait fonctionné comme un jeu de boîtes chinoises.

Le groupe Made in Italy était formé de deux sociétés, lesquelles étaient à leur tour dissimulées derrière une société suisse.

D'après Turrisi, cette structure aurait permis de faire passer ce groupe dans le holding de Lino Saputo.»

Toujours selon ce porte-parole, Turrisi a créé l'entreprise Saputo Enterprises Corporation en Floride «dans le seul but de cacher ultérieurement l'achat du Groupe Made in Italy et de permettre à Saputo d'acheter une compagnie américaine et non une société suisse, ce qui aurait inévitablement généré des soupçons.

«Un faux rapport d'évaluation (du Groupe Made in Italy) a même été rédigé par un bureau de consultants internationaux pour justifier le déboursement des 600 millions de dollars par la compagnie publique de Saputo qui, selon les dires de Turrisi, serait prêt à accomplir une telle opération parce qu'il est assujetti à un lien de gratitude envers Rizzuto », ajoute le porte-parole de la Guardia di Finanza.

Les polices italiennes et canadiennes collaborent dans ce dossier depuis 2004, affirme le même porte-parole.

«Dans le cours des enquêtes, il y a eu plusieurs rencontres tenues au Canada et en Italie ; deux demandes d'assistance internationale ont été présentées à Ottawa et, pour la dernière, on attend une réponse.»

Au cours d'une visite à Montréal au printemps 2005, des enquêteurs italiens ont d'ailleurs fait des vérifications sur Lino Saputo et ses entreprises auprès des enquêteurs de l'UMECO. Mais aucun d'eux n'a contacté M. Saputo, lequel ne fait pas l'objet d'une enquête.

Précision sur Lino Saputo

Dans son numéro du 17 juillet 2008, La Presse soulignait que M. Lino Saputo avait été victime d'une histoire de blanchiment d'argent inventée par Mariano Turrisi alors que celuici a reconnu avoir utilisé le nom de M.Saputo à son insu.

Cet article reprenait la conclusion des enquêteurs italiens qui avaient alors fermé définitivement leur dossier sur les dires de M. Turrisi et dont La Presse faisait état dans son édition du 12 décembre 2007.

Dans ces reportages, nous avions pris soin d'indiquer que M. Saputo n'était pas sous enquête. Néanmoins, La Presse reconnaît que certains lecteurs ont pu avoir l'impression du contraire. Nous regrettons les inconvénients causés par cette interprétation.

C'est pourquoi nous tenons à préciser que le nom de M. Saputo n'a jamais figuré au "registre des personnes faisant l'objet d'une enquête" relativement au procès impliquant M. Turrisi. La Presse réitère donc que M. Saputo n'a pas fait l'objet d'une enquête formelle de la police italienne. 

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