La Caisse de dépôt et placement risque gros dans la crise de liquidités qui secoue les marchés financiers.

La Caisse de dépôt et placement risque gros dans la crise de liquidités qui secoue les marchés financiers.

Ses placements en papier commercial sont tels qu'elle risque d'inscrire une perte de plus d'un milliard de dollars dans ses prochains états financiers.

Selon nos informations, obtenues de bonnes sources, la Caisse détient l'astronomique somme de 13,6 milliards de dollars de papier commercial (PCAA) non bancaire.

L'institution est l'une des plus exposées dans la crise, qui touche aussi la Banque Nationale, la Deustche Bank et HSBC notamment.

L'acronyme PCAA est utilisé pour désigner le papier commercial adossé à des actifs.

Le portefeuille d'actifs mis en garantie pour ce papier commercial est constitué de comptes de cartes de crédit, de comptes de location d'auto et de prêts hypothécaires à risque, notamment.

Il permet à ses acheteurs de placer des fonds à court terme avec un rendement de 4 à 4,5%. Le marché des PCAA non bancaires au Canada est évalué à 35 milliards de dollars. À elle seule, la Caisse aurait donc plus du tiers du marché.

Les 15 et 16 août, le PDG de la Caisse, Henri-Paul Rousseau, a convoqué les principaux porteurs canadiens, à Montréal, pour résoudre la crise. La rencontre a débouché sur ce qu'on a appelé la Proposition de Montréal.

Les participants ont notamment convenu d'imposer un moratoire de 60 jours aux transactions de PCAA non bancaires, soit jusqu'à la mi-octobre.

Fonds vautours

Ce moratoire a pour but de restructurer le marché des PCAA et faire en sorte que ce papier commercial ne soit pas liquidé à perte.

Dans les heures qui ont suivi la crise, des fonds vautours offraient seulement 62 cents pour chaque dollar de PCAA non bancaires.

Aujourd'hui, le marché secondaire des PCAA est gelé par le moratoire mais, informellement, les acheteurs sont prêts à offrir 80 à 90 cents par dollar, selon deux intervenants du marché.

Autrement dit, si la Caisse devait dresser ses états financiers aujourd'hui, elle devrait inscrire une perte sur papier d'au moins 10%, soit 1,4 milliard de dollars.

Une telle perte serait presque aussi importante que celle qu'a réalisé la Caisse avec Vidéotron (environ 2,5 milliards) ou Nortel (environ 2 milliards).

Cette perte ne serait toutefois que sur papier. Dans la proposition de Montréal, il est question de convertir le PCAA non bancaire - des titres à court terme - en obligations à plus long terme à taux variables. Les porteurs n'encourraient pas de pertes, probablement, s'ils conservent leurs titres jusqu'à l'échéance.

Probablement, parce qu'on ne sait pas encore précisément quels actifs sont mis en garantie pour les 35 milliards de dollars de PCAA. Une part du portefeuille est constituée de prêts hypothécaires à risque, susceptibles d'être en défaut de paiement, mais personne ne sait quelle proportion.

Le directeur général de l'Institut pour la gouvernance, Michel Nadeau, estime à 10% la part du PCAA non bancaire qui pourrait être constitué d'hypothèques américaines à risque. Selon lui, la probabilité de perte pour ces 10% est très faible, puisqu'au Canada, les investisseurs n'ont acheté que la «crème des subprime», dit-il.

«Actuellement, ce n'est pas une crise de crédit, mais de liquidités. Il ne faut pas oublier que les actifs sous-jacents au papier commercial ont reçu une cote de AAA par les agences de notation. Les risques de pertes en capital sont très limitées», dit Michel Nadeau, ancien no 2 de la Caisse de dépôt.

Son de cloche semblable d'Alain Chung, gestionnaire de portefeuille chez Claret. Alain Chung fait remarquer que la firme torontoise au coeur de la crise, Coventree, n'a que de 4% de son papier commercial dans le «subprime».

Il estime donc que la proportion de titre subprime dans le marché de 35 milliards ne devrait pas excéder 5%.

Quelle proportion de ce 5% fera défaut? Difficile à dire. Mais au pire, seule une partie de ce 5% fera défaut et la perte réelle pour les porteurs de papier commercial serait faible.

Le gestionnaire de portefeuille juge tout de même que les entreprises devront inscrire des pertes sur papier.

«Les nouvelles débentures issues de la Proposition de Montréal vont se transiger à escompte, comme les obligations. C'est sûr que des entreprises vont devoir prendre des pertes sur papier, mais combien?», dit-il.

À la Caisse, l'ultime responsable du papier commercial est le premier vice-président, revenus fixes, Philippe Ithurbide. Il n'a pas rappelé La Presse Affaires.

Le stratégiste en chef de la Caisse, Christian Pestre, qui est responsable de la répartition des actifs, n'a pas voulu faire de commentaires, nous renvoyant au service des relations publiques.

Aux relations publiques, la porte-parole Lucie Frenière n'a pas voulu confirmer le chiffre de 13,6 milliards de dollars de PCAA non bancaires. Dans les états financiers de la Caisse, les PCAA sont compris dans le poste «Valeurs à court terme».

Au 31 décembre 2006, ces valeurs à court terme atteignaient 33,6 milliards de dollars, soit 16,5% des 203,8 milliards de fonds placés par la Caisse sur les marchés.

La Caisse ne ventile pas ces valeurs à court terme par catégorie (acceptation bancaire, PCAA, bons du Trésor, etc.).

«Personne ne sortira grand gagnant de la restructuration. La Proposition (de Montréal) a pour but que tout le monde y trouve son compte. Il est bien possible qu'il n'y ait pas de pertes, au bout du compte. C'est prématuré», dit essentiellement Mme Frenière.

Le comité de restructuration est supervisé par l'avocat renommé Purdy Crawford et la firme Ernst & Young. À ce jour, les porteurs de 81,3% des 35 milliards de dollars de PCAA non bancaires ont donné leur appui à la Proposition de Montréal.