Revenu Canada a décidé de frapper fort pour freiner le recours aux paradis fiscaux des multinationales pharmaceutiques. La Presse a appris que l'agence fédérale vient de réclamer plus de 2 milliards $ au géant Merck Frosst pour des impôts impayés. Il s'agit du plus important avis de cotisation jamais transmis par l'Agence du revenu du Canada (Revenu Canada).

Revenu Canada a décidé de frapper fort pour freiner le recours aux paradis fiscaux des multinationales pharmaceutiques. La Presse a appris que l'agence fédérale vient de réclamer plus de 2 milliards $ au géant Merck Frosst pour des impôts impayés. Il s'agit du plus important avis de cotisation jamais transmis par l'Agence du revenu du Canada (Revenu Canada).

Selon nos informations, l'avis de cotisation a été envoyé durant la première semaine d'octobre. Il vise à prélever des impôts sur une part des profits mondiaux que Merck a réalisés, entre autres, avec le célèbre médicament Singulair. Ce produit pour le traitement de l'asthme a été développé à Montréal.

Par une manoeuvre contestée, Merck aurait transféré une part des profits du Singulair dans le paradis fiscal de la Barbade au détriment du Canada.

Merck Frosst est l'une des plus importantes entreprises pharmaceutiques au Canada. Cette filiale du géant américain Merck a son siège social canadien à Kirk-land, dans l'ouest de l'île de Montréal. L'entreprise compte 1600 employés au Canada, dont 1100 à Montréal.

Outre le médicament Singulair, Merck Frosst a développé à Montréal l'anti-inflammatoire Vioxx, retiré du marché en 2004 en raison des effets secondaires chez certains patients.

Merck n'est pas la seule multinationale dans la mire d'Ottawa. "D'autres cotisations vont toucher les pharmaceutiques", indique une source, qui mentionne Pfizer, par exemple.

Il faut dire que l'essor des paradis fiscaux a été phénoménal ces dernières années. Selon Statistique Canada, l'actif canadien dans ces centres financiers est passé de 11 à 88 milliards $ en 10 ans, soit une croissance bien supérieure aux investissements au Canada.

Dans le cas de Merck Frosst, l'avis d'imposition porte sur des revenus mondiaux de 5 mil-liards $ réalisés ces dernières années avec les redevances du Singulair, notamment. Le Vioxx ne ferait pas partie du présent litige avec Revenu Canada.

La réclamation du fisc dépasse les 2 milliards $, compte tenu du taux d'imposition fédéral sur les revenus (22 %), des intérêts sur les impôts impayés et de la pénalité applicable.

Il y a quelques années, Merck aurait transféré de Montréal vers la Barbade le brevet du médicament Singulair. Ce faisant, les redevances que facture la filiale Merck Barbade aux distributeurs du médicament dans le monde ne sont pas imposées, puisque la Barbade, paradis fiscal, ne prélève pas d'impôts. Ce sont ces redevances que cible Revenu Canada, selon nos informations.

Pour Merck, la facture risque d'être encore plus salée, puisqu'il y a fort à parier que Revenu Québec imitera l'agence fédérale. Dans le cas du Québec, on peut s'attendre à 1 milliard $ d'impôts additionnels, intérêts et pénalités compris. La facture fédérale et provinciale combinée excéderait donc les 3 milliards $.

Le dossier est d'autant plus sensible que les pharmaceutiques reçoivent de généreux crédits d'impôts des gouvernements pour le développement de nouveaux médicaments. Au fédéral, le crédit est de 20 % des dépenses admissibles et au Québec, de 17,5 %.

Le porte-parole de Merck Frosst, Vincent Lamoureux, n'a pas voulu élaborer sur le sujet. "Les communications entre Merck et Revenu Canada sont confidentielles", a-t-il dit.

Cependant, la multinationale américaine, inscrite en Bourse, a fait état de son litige avec Revenu Canada dans ses plus récents états financiers trimestriels, déposés le 7 août.

"Les déclarations de revenus de Merck Canada pour les années 1998 à 2004 sont présentement vérifiées par l'Agence du revenu du Canada. L'Agence a soumis à la Société une proposition préliminaire d'ajustements reliés à des questions de prix de transfert. L'entreprise est en désaccord avec les positions de l'Agence et croit qu'elles sont sans fondement", écrivait Merck le 7 août.

La multinationale s'attendait alors à recevoir un avis formel d'imposition en septembre. "Suite à l'émission de nouvelles cotisations, l'entreprise serait dans l'obligation d'acquitter la moitié des sommes cotisées. L'entreprise entend contester énergiquement les cotisations par l'entremise du processus d'appel de Revenu Canada et des tribunaux, si nécessaire", est-il écrit aux états financiers.

Idem aux États-Unis

Le Canada n'est pas seul à sévir. Merck a également reçu un avis de cotisation de l'agence Internal Revenus Service (IRS), l'équivalent américain de Revenu Canada, en décembre 2005. La réclamation excède les 2,3 milliards $US, sans compter les pénalités attendues, est-il indiqué aux états financiers de Merck.

À la fin septembre, le Wall Street Journal faisait état du litige américain. La manoeuvre fiscale décrite par le quotidien est semblable à celle dont nos sources font état au Canada. Cette fois, les Bermudes serait le paradis fiscal utilisé.

Chez Revenu Canada, on a refusé de faire tout commentaire sur l'imposition des entreprises pharmaceutiques en général ou sur Merck Frosst en particulier. Ces dossiers sont confidentiels, nous a dit la porte-parole, Ariane Boyer.

Par ailleurs, le porte-parole de Merck Frosst, Vincent Lamoureux, soutient que le départ du président André Marcheterre, le mois dernier, n'est aucunement lié à ce dossier. "André Marcheterre a récemment pris sa retraite après une remarquable carrière de 29 ans chez Merck Frosst", a-t-il dit.

M. Marcheterre a été remplacé par Dawn Graham, qui revient à Montréal après une carrière au sein de Merck aux États-Unis. Avant de quitter, en 2004, elle était responsable des ventes pour le Canada et des relations gouvernementales.

Au cours du dernier trimestre, la multinationale Merck a réalisé des revenus de 5,7 milliards $US et un bénéfice net après impôt de 1,5 milliard $US.

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