«Les États-Unis, ça a été un fiasco pour moi.»

«Les États-Unis, ça a été un fiasco pour moi.»

Ne cherchez pas dans les statistiques sur les exportations québécoises combien de vélos Devinci ont franchi la frontière l'an dernier. Ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin.

«Actuellement, explique Félix Gauthier, propriétaire de Cycles Devinci, on vend très peu à l'extérieur du Canada. Ce sont des ventes accidentelles.»

Le fabricant de vélos haut de gamme de Chicoutimi a pourtant essayé de percer le marché américain. En cinq ans, il y a investi 1,2 million de dollars dans des expositions où il présentait ses bicyclettes.

Coûts de transport trop élevés, problèmes avec les représentants locaux, concurrents américains difficiles à déloger. Ce fut peine perdue. Et aujourd'hui, trois ans après avoir mis une croix sur l'immense marché au sud de la frontière, il doit encore rembourser les prêts qui lui ont permis d'y tenter sa chance.

Découragé? Félix Gauthier n'en a pas l'air. Il écoule plus de la moitié de ses bécanes d'aluminium et de carbone dans le reste du Canada, ce qui représente des exportations de plus de 6 millions de dollars qui partent de Saguenay.

Sa mésaventure américaine ne sera toutefois pas vaine. Il s'en servira dans le cadre d'une prochaine tentative sur le marché européen. Et cette fois, se promet-il, il sera présent sur place, avec une usine d'assemblage.

Devinci est loin d'être la seule entreprise québécoise à lorgner des marchés à l'extérieur des États-Unis. Pour plusieurs, la diversification des marchés d'exportation passe du simple discours théorique aux actes bien pratiques.

François Barrière est vice-président au développement des affaires à la Banque Laurentienne, dans le marché des devises et des services internationaux.

Son boulot: trouver des exportateurs québécois qui ont besoin de devises pour brasser leurs affaires ailleurs qu'au Saguenay, dans le Bas-du-Fleuve ou à Toronto.

«Les gens ont compris que seulement le marché américain, ce n'est pas le Pérou à long terme, dit-il. Ça va être encore pire dans la prochaine année quand les Américains vont se taper une bonne crise immobilière.»

Ces derniers mois, il a compilé une liste fort intéressante des régions du monde où les exportations québécoises sont en croissance. En forte croissance dans certains cas.

Entre 2001 et 2006, la hausse est de 184% pour les pays d'Europe de l'Est, de 138% en Afrique, et de 98% en Amérique du Sud.

Évidemment, au total, on ne parle pas encore de grosses sommes. Les marchés sont encore jeunes.

«Il y a probablement plus de joueurs qui exportent à l'extérieur des États-Unis actuellement, explique M. Barrière. Mais c'est fragmentaire, ce sont de petits joueurs. Et ils sont en train de devenir de bons joueurs.»

Sur un marché beaucoup plus important comme l'Europe (sa définition inclut la Turquie, mais exclut l'Europe de l'Est), les exportations québécoises ont progressé de 24% en cinq ans. Aux États-Unis, elles ont diminué de 5% pendant la même période.

Un État plus présent

Attention! Le VP de la Banque Laurentienne n'est pas en train de dire que la balance commerciale va se rétablir toute seule et que, finalement, il n'y a pas de problème.

La vraie question, c'est comment renverser la tendance. Et qui peut le faire?

«Il faut trouver une façon d'arranger ça, dit François Barrière. Il faut que les politiciens se mettent un peu plus le nez là-dedans.»

C'est, sans surprise, un discours similaire qu'ont tenu à La Presse Affaires l'ancien ministre péquiste Rodrigue Tremblay et Bernard Landry.

«Le gouvernement du Québec est moins passionné d'exportation que le précédent ne l'était», a par exemple souligné l'ancien premier ministre Landry.

À l'association des Manufacturiers et Exportateurs du Québec, on n'est pas trop loin de ce discours-là non plus.

Pour hausser les exportations québécoises, son PDG, Jean-Luc Trahan, parle d'améliorer la commercialisation des produits, d'augmenter le degré d'innovation et d'attirer ici de plus grandes entreprises du secteur manufacturier qui permettront de rendre l'ensemble du secteur plus productif.

Et qui dit plus productif dit aussi de plus grandes possibilités sur les marchés étrangers.

Avec de l'aide de l'État? «Il faut être concurrentiel au niveau gouvernemental, dit le porte-parole des manufacturiers et exportateurs, en citant des programmes français, allemands ou américains d'aide aux entreprises. Nous, on dit que ce devrait être le libre marché, la libre concurrence. Mais il ne faut pas non plus être naïf. Il faut s'adapter à ce que d'autres pays font.»

Pour François Barrière, il faut aussi que les gouvernements fassent du ménage dans la multitude de programmes offerts aux exportateurs. «Ceux qui veulent faire de l'exportation, ils ne savent plus où donner de la tête. C'est la folie furieuse.»

Alors qu'il se prépare, à moyen terme, à retenter sa chance du côté de l'Europe, Félix Gauthier, des vélos Devinci, a-t-il trouvé des conditions qui pourraient l'aider à réussir cette fois-ci?

Silence au bout du fil, comme si le signal de la voix s'était perdu dans la réserve des Laurentides. Et puis, cette réponse: «Il y aurait un genre de swat team avec des experts en communication, en approvisionnement pour vraiment évaluer le potentiel d'une entreprise à exporter. Quand tu entrerais dans ce processus-là, il y aurait toujours une plate-forme où tu pourrais être formé.»

Et quand l'équipe de choc jugerait que l'entreprise est prête à exporter, les programmes d'aide lui seraient offerts. «On peut rêver en couleur...», dit M. Gauthier.

*Les chiffres sont différents de ceux présentés dans le numéro d'hier parce que, pour connaître la destination des nos exportations, on doit utiliser les relevés des douanes. Hier, nous utilisions les données plus précises des comptes économiques.

NOTE