15 novembre 1976. Le Québec élit un gouvernement du Parti québécois. Les souverainistes sont en liesse. Ils rêvent d'un pays. Aux États-Unis, ils auront plutôt un nouveau surnom: les Cubains du Nord.

15 novembre 1976. Le Québec élit un gouvernement du Parti québécois. Les souverainistes sont en liesse. Ils rêvent d'un pays. Aux États-Unis, ils auront plutôt un nouveau surnom: les Cubains du Nord.

Cette réputation leur collera à la peau autant à Wall Street que chez le petit frère canadien de Bay Street.

«Cette expression a fait des ravages dans les milieux financiers aux États-Unis, se rappelle Jacques Parizeau, alors ministre des Finances, du Revenu et président du Conseil du Trésor. Nous nous sommes alors retrouvés dans la situation où nous ne pouvions pas emprunter un sou sur les marchés à Montréal, à Toronto et à New York.»

Ottawa suivait aussi la situation de près.

«C'était inévitable, dit le ministre fédéral Marc Lalonde, qui dirigeait le ministère de la Santé et du Bien-être social en novembre 1976 et qui a été ministre des Finances du Canada de 1982 à 1984. Nous ne sommes pas différents des autres pays. À partir du moment où il y a une certaine instabilité politique, le country risk augmente. Le Parti québécois était un facteur de déstabilisation autant pour le Québec que pour le Canada.»

Devenu persona non grata sur les marchés nord-américains, Jacques Parizeau doit trouver des créanciers qui accepteront de lui prêter «entre 5 et 6 milliards».

«Nos besoins étaient immenses, car Hydro-Québec était dans une grande phase d'investissements», rappelle-t-il.

Jacques Parizeau met la Caisse de dépôt et placement du Québec à contribution. En insistant un peu, il obtient aussi 250 M$ de la part d'assureurs américains.

L'ancien professeur de l'École des hautes études commerciales (HEC Montréal) part ensuite à la recherche de capitaux en Europe et en Asie.

Le Québec faisait déjà des affaires en Suisse et au Japon. Ce sera ses premières destinations.

Monsieur visite aussi les banques d'Allemagne, de la France et de l'Angleterre.

En 1977, il obtient 511 millions en Europe, dont 130 millions de la part de banques à Dusseldorf et Francfort.

«Nous avons eu droit à une réception assez étonnante, se rappelle Jacques Parizeau. Nous avons pu emprunter à des conditions à peu près analogues à celles de l'Ontario. Personne n'était nerveux. Il faut dire qu'ils avaient vu neiger. Ils savaient de quoi ils parlaient en matière de risques politiques. Ils traitaient avec des gens qui se tiraient dessus à coups de canon!»

Fin renard, le ministre Parizeau choisit ses interlocuteurs avec soin.

«Nous ne voulions pas faire affaires avec les syndicats financiers utilisés par d'autres provinces canadiennes, en particulier l'Ontario», dit-il.

«Nous voulions les mettre en concurrence afin d'obtenir les meilleurs taux.»

Curieusement, seule la France hésite à se porter créancière de son cousin québécois. Jacques Parizeau jouera le tout pour le tout: il demande à être reçu à Matignon, la résidence officielle du premier ministre français.

Comme son occupant, Raymond Barre, est l'un de ses anciens camarades d'université à Paris, il obtient un rendez-vous en deux jours... et la collaboration subséquente des banquiers français.

Le 13 septembre 1977, Wall Street hisse le drapeau blanc et accepte un emprunt de 200 millions.

«Quand le monde entier a manifesté son désir de nous prêter de l'argent à des conditions excellentes, les courtiers en Amérique du Nord se sont demandés ce qu'ils faisaient sinon perdre des commissions», analyse M. Parizeau.

Le Québec ne délaisse pas pour autant ses partenaires internationaux. En 1978, ses emprunts en Europe et au Japon totalisent 462 millions sur une récolte annuelle de 1,26 milliard.

En 1979, le Québec emprunte 250,4 millions en Europe. L'année du référendum, il emprunte 344,5 millions dans le Vieux Continent et 97,1 millions au Japon.

Malgré tout, le grand argentier du gouvernement Lévesque n'est pas fâché de rentrer à la maison à l'automne 1977.

«Nous ne pouvions pas obtenir autant d'argent qu'en Amérique du Nord, dit-il. Les marchés internationaux étaient une solution correcte pour un, deux, trois ans, jusqu'à ce que le Québec redevienne respectable aux yeux des banques américaines. Nous ne pouvions pas avoir indéfiniment toutes nos réserves en monnaies exotiques!»