Ce soir, des dizaines de petits monstres, fantômes et autres sorcières viendront cogner à votre porte avec une chose en tête: les bonbons.

Ce soir, des dizaines de petits monstres, fantômes et autres sorcières viendront cogner à votre porte avec une chose en tête: les bonbons.

Ce faisant, ils feront rouler sans le savoir une industrie dont les ventes dépassent le milliard de dollars au Québec, et qui ont bondi de 10% l'an dernier. Pas de doute: ça boume dans le bonbon.

Jean Mondoux aime l'Halloween. Tellement qu'aujourd'hui, alors que des milliers d'enfants s'apprêtent à croquer des bonbons partout dans la province, le président de Bonbons Mondoux célébrera aussi en se payant une bouchée.

Aujourd'hui, 31 octobre 2007, Jean Mondoux avalera un fabricant de bonbons québécois.

«Malheureusement, je ne peux pas dire encore lequel», a-t-il dit cette semaine à La Presse Affaires, laissant flotter un peu de mystère en cette saison des fantômes.

Ce qui semble plus limpide, c'est que Jean Mondoux travaille dans une industrie en pleine croissance.

Au Québec, la valeur des livraisons québécoises dans le secteur «sucre et confiserie» a bondi de plus de 10% entre 2005 et 2006, selon les chiffres du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ).

«L'industrie de la confiserie est en santé. Très en santé, approuve Bill Goodman, agent principal, développement de marché, à Agriculture et Agroalimentaire Canada. On regarde les statistiques, on parle aux entreprises, et elles semblent se porter plutôt bien.»

C'est certainement l'impression que laisse une conversation avec Jean Mondoux, qui se définit lui-même comme le «king du bonbon au Québec».

«On fait des bonbons, on en importe, on en distribue», lance-t-il comme on récite un slogan.

Le gros des activités de Bonbons Mondoux, qui fait dans la friandise depuis 1967, est cependant l'importation. L'entreprise fait venir des sucreries d'un peu partout dans le monde, que ce soit d'Espagne, du Brésil, d'Allemagne ou de Belgique.

«Ça arrive en conteneur de 40 pieds», dit-il dans une phrase qui risque de faire saliver bien des enfants. Bonbons Mondoux emballe les friandises dans son usine de Laval, puis les distribue aux détaillants.

L'entreprise, qui compte 125 employés et vend pour 35 millions de dollars de bonbons chaque année, vise une deuxième acquisition d'ici le mois de décembre, et lorgne maintenant les États-Unis.

«C'est un marché qu'on va développer bientôt, dit-il. C'est sûr que c'est intéressant, il y a beaucoup de volume là-bas. Il y a des sortes de bonbons qu'ici, c'est des pinottes. Tandis que là-bas, c'est 25 fois plus.»

Une concurrence féroce

L'Halloween? «C'est une bonne fête pour nous. Comme Noël et Pâques», dit Jean Mondoux.

La fête des citrouilles représente aussi 35% du chiffre d'affaires de la division confiserie d'Aliments Original, qui produit toutes sortes de sucreries dans son usine de Vanier.

«On a un gros programme d'Halloween. On est très fort dans le saisonnier», dit Philippe Canac-Marquis, directeur général adjoint de l'entreprise.

Tires d'Halloween, carrés de caramel, suçons: l'entreprise a terminé sa production d'Halloween il y a maintenant un mois, le temps d'envoyer la marchandise dans les épiceries.

Elle se prépare maintenant pour la production de Noël, où les bonbons traditionnels et les tuques en chocolat seront à l'honneur.

Un bon métier, celui de fabricants de bonbons? «Les affaires vont bien», répond M. Canac-Marquis, qui souligne toutefois que l'industrie a perdu beaucoup de son pouvoir de négociation auprès des épiciers depuis les acquisitions de Provigo par Loblaws et d'A&P par Metro.

«La concurrence vient de toutes parts, dit aussi Philippe Canac-Marquis. Il est difficile d'arriver avec des articles qui performent.»

Une situation qui n'échappe pas à Bill Goodman, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.

«Oui, l'industrie est en santé. Mais elle est aussi très concurrentielle. Les entreprises sont constamment à l'affût de méthodes pour gagner en efficacité. Quand vous regardez le marché de l'Amérique du Nord - et je dis Amérique du Nord parce qu'avec l'ALENA, c'est vraiment un seul marché - on voit une industrie très à maturité. Pour augmenter significativement vos parts de marché, vous devez cannibaliser une autre entreprise ou un autre produit.»

Sans compter qu'avec une population vieillissante qui se préoccupe de plus en plus de sa santé, rien n'indique que le bonbon sera en mode croissance encore longtemps.

«Les confiseurs s'adaptent à la demande, dit M. Goodman. On voit des produits comme les gommes sans sucre, le chocolat noir, et les tablettes de chocolat plus petites, parce que ça suscite moins de culpabilité!»

Des préoccupations qui seront cependant bien loin de celles des milliers d'enfants qui s'apprêtent ce soir à prendre les rues d'assaut. Quelle proportion de bonbons «made in Québec» dans leur sac?

«Bonne question. Je dirais moins de 10%», répond Philippe Canac-Marquis, d'Aliments Original. Une exception: en regardant Junior les dents bien collées par les tires d'Halloween, vous pourrez vous dire qu'il encourage l'industrie québécoise.

«Ce produit-là ne se retrouve pas sur les autres marchés, confirme Jean Mondoux. C'est tout fait au Québec. Je vais plusieurs fois en Europe pour les bonbons, et je n'ai jamais vu ça là-bas.»

Quand les affaires sont chocolat

Parmi les oursons en gélatine et les suçons multicolores, c'est toujours le chocolat que les enfants souhaitent trouver en premier dans leur sac d'Halloween. Mais le chocolat québécois se raffine aussi. pour conquérir les papilles des adultes.

Au Québec, l'industrie se décline en deux volets. D'un côté, la province peut compter sur le numéro un mondial du chocolat, la multinationale suisse Barry Callebaut, qui possède une usine à Saint-Hyacinthe.

Ses 550 employés sont les seuls au Québec à produire du chocolat à partir de fèves de cacao, et sont grandement responsables d'un fait méconnu: les produits dérivés du cacao représentent la deuxième exportation agroalimentaire en importance du Québec, après le porc.

À l'autre bout du spectre se trouve une myriade de petites PME qui prennent le chocolat produit par les géants comme Barry Callebaut et le transforment en produits fins de plus en plus populaires.

Comme les bières et les fromages d'ici, leurs chocolats surfent sur le désir des Québécois de découvrir des produits de qualité, fabriqués de façon quasi artisanale.

Louise Décarie, de la Confiserie Louise Décarie, vend aussi bien des importations que des produits locaux depuis maintenant 15 ans. Son verdict: «Le Québec n'a plus rien à envier aux chocolatiers européens».

Les petits fabricants québécois visent des marchés de niche plutôt que la production de volume. Et semblent bien se tirer d'affaire.

«On croît de 20% par année», dit Marc Fournier, de la confiserie Wakefield, qui fait autant du chocolat que des fudges, des confitures et des conserves.

Du côté de la confiserie Bromont, on parle aussi d'une croissance annuelle de 10 à 15%.

«Le domaine de la chocolaterie et de la confiserie est en pleine évolution, dit Serge Bédard, propriétaire de l'endroit qui compte aussi un restaurant et un musée du chocolat. Il y a de plus en plus d'offre, mais il y a aussi les gens qui s'y intéressent, s'y connaissent et veulent goûter. On sent vraiment une fébrilité.»

Signe que ces commerces s'adressent davantage aux adultes qu'aux enfants, l'Halloween affecte très peu leurs ventes.

«Dans notre cas, on donne plus qu'on reçoit, dit Serge Bédard, de la confiserie Bromont. Les autres fêtes - Pâques, Noël, la Saint-Valentin - sont de bonnes périodes. À l'Halloween, il y a les enfants qui passent et on leur donne des bonbons: ça permet de rencontrer nos futurs clients!»

En 2003, le MAPAQ s'est penché sur cette industrie qui emploie 660 personnes réparties dans une soixantaine d'entreprises, et qui génère des ventes annuelles d'environ 200 millions de dollars (les chiffres excluent le poids de la multinationale Barry Callebaut).

Constat: en plus de bénéficier de sucre bon marché (voir autre texte), l'industrie québécoise peut compter sur des entreprises flexibles qui s'adaptent rapidement aux besoins de leur clientèle. Les entreprises misent sur la qualité et innovent beaucoup, tant au niveau des produits que des emballages.

«La qualité de la main-d'oeuvre est une force indéniable de l'industrie québécoise de confiseries à base de chocolat», dit aussi le MAPAQ.

La contrepartie, c'est un marché local réduit, qui oblige les petites entreprises québécoises qui voient grand à regarder vers les États-Unis. En 2003, 14 des 60 entreprises répertoriées par le MAPAQ avaient fait le saut.

Les budgets limités empêchent aussi les PME d'investir dans des équipements performants. Il y a peu de recherche et développement, et seulement quatre entreprises utilisaient en 2003 un système d'assurance qualité de type ISO, qui peut faciliter l'exportation vers les États-Unis.

Un avantage sucré... et menacé

Le sucre. Il y en a plein dans les bonbons. Et bonne nouvelle pour les confiseurs canadiens: il peut coûter jusqu'à 50% moins cher au Canada qu'au sud de la frontière. Mais cela pourrait bientôt changer.

La raison de l'écart entre les prix canadiens et américains est la suivante: le Canada s'approvisionne en sucre raffiné sur le marché mondial, surtout auprès des pays des Caraïbes et de l'Australie, et aux prix négociés à la Bourse.

La situation est tout autre aux États-Unis, qui ont choisi de limiter et taxer le sucre étranger qui entre sur leur territoire pour favoriser les producteurs locaux. Conséquence: les prix sont de 35 à 50% plus élevés chez nos voisins du Sud.

«C'est sûr que c'est intéressant. On le paie même moins cher que les Européens», dit Jean Mondoux, de Bonbons Mondoux.

Même pour les chocolatiers, pour qui le sucre ne représente que 5% du coût des matières premières, la différence de prix représente «un avantage concurrentiel non négligeable pour les entreprises canadiennes et québécoises actives sur le marché américain», estime le MAPAQ dans un document publié en 2003.

Rien ne dit, cependant, que cet «avantage sucre» se maintiendra. Bill Goodman, agent principal, développement de marché, à Agriculture et Agroalimentaire Canada, surveille attentivement les politiques américaines qui fixeront les niveaux de subventions aux agriculteurs américains, et qui sont attendues d'ici la fin de l'année.

«Une coupe dans les subventions aux producteurs américains de betterave et de canne à sucre signifierait une ouverture aux importations de sucre étranger, et donc une baisse des prix au sud de la frontière», explique M. Goodman.

Sans compter que dès 2008, le Mexique pourra faire entrer son sucre raffiné sans barrière tarifaire aux États-Unis. «Cet accès des Mexicains en 2008 aura un impact sur les politiques américaines», dit M. Goodman.

Une histoire à surveiller pour tous les amateurs de bonbons et de chocolat du pays.