Isolés les travailleurs autonomes? Plusieurs d'entre eux ont, au contraire une vie sociale intense. Leurs liens avec leurs semblables sont parfois même plus satisfaisants que ceux de bien des salariés.

Isolés les travailleurs autonomes? Plusieurs d'entre eux ont, au contraire une vie sociale intense. Leurs liens avec leurs semblables sont parfois même plus satisfaisants que ceux de bien des salariés.

Deux ou trois fois par semaine, Élisa Plouffe se rend à la piscine tôt le matin. C'est avec la quinzaine d'habitués que cette traductrice agréée commente les déboires des invités de Tout le monde en parle ou qu'elle partage ses découvertes littéraires et cinématographiques.

Après ses séances de natation, elle prend le déjeuner avec deux autres travailleuses autonomes, une avocate et une ostéopathe. Ce rituel fait partie de leurs stratégies pour contrer le rétrécissement des contacts sociaux qui guette les indépendants, particulièrement lorsqu'ils exercent des professions solitaires comme la traduction.

«En semaine, je prends parfois le repas du midi avec des amis. Pendant le week-end, mon conjoint et moi avons beaucoup d'activités. J'ai plein d'énergie car je fais la plupart des courses et des tâches domestiques pendant la semaine», dit-elle.

Depuis un an, Mme Plouffe se rend travailler chez un de ses clients. Elle y côtoie d'autres traducteurs, avec qui elle parle surtout boulot et trucs du métier. «Quand on est chez soi, il est plus difficile de rester à jour et de connaître les nouvelles techniques de travail», précise-t-elle.

Elle participe, à l'occasion, aux activités de son ordre professionnel, surtout pour développer un réseau de contact pour le travail. «J'ai une vie sociale bien remplie», résume-t-elle.

Multiples stratégies

Entre 2003 et 2005, Diane-Gabrielle Tremblay et son équipe de la Chaire de la chaire de recherche du Canada sur les enjeux socio-organisationnels de l'économie du savoir ont mené des entrevues en profondeur avec 75 travailleurs autonomes.

Ces témoignages ont révélé que les travailleurs autonomes déploient de multiples stratégies pour combler leur besoin de socialiser. Certains ont même une vie sociale plus intense qu'à l'époque où ils étaient salariés.

«Ceux qui n'ont pas à se déplacer pour faire leur travail gagnent environ 10 heures par semaine. Plusieurs d'entre eux en profitent pour augmenter leurs activités sociales», note Mme Tremblay, également professeure à la Téluq-UQAM.

La création de réseaux avec d'autres travailleurs autonomes, la participation aux activités d'associations ou d'ordre professionnels ainsi que le développement de liens d'amitié avec certains clients, font partie des moyens utilisés par les participants à cette enquête.

Mme Tremblay a découvert un bilan contrasté de la pratique des sports et loisirs par ces travailleurs. «Certains en font plus et construisent leur réseau autour de ces activités. D'autres réduisent leur participation parce qu'ils doivent être disponibles pour leurs clients ou travaillent de longues heures», explique-t-elle.

Les organismes qui font appel au bénévolat semblent être gagnants de la quête de socialisation plus prononcée des autonomes, des femmes plus précisément.

Plusieurs d'entre elles sont actives dans les comités de garderie ou d'écoles. La flexibilité de leurs horaires leur permet aussi d'accompagner plus facilement les enfants lors des sorties ou d'assister à leurs spectacles.

«Nous avons surtout recueilli les témoignages de travailleurs autonomes par choix. Ceux à qui ce statut a été imposé ont tendance à juger plus négativement le fait d'être privé de l'environnement social d'un milieu de travail», précise Mme Tremblay.

Transition réussie

Michel Panagis, président de l'Association québécoise des informaticiens et informaticiennes indépendants (AQIII), avoue avoir trouvé difficile la transition du statut d'employé-salarié à celui de consultant. Il a fait le saut en 1998, par choix.

«En milieu de travail, on aime bien tout savoir sur les rumeurs et les intrigues de bureau. Au début, ça m'a manqué. Comme employé, on peut avoir notre mot à dire sur les façons de faire. Quand on devient consultant, on nous demande de faire une tâche bien précise. Ça aussi, c'est difficile», témoigne-t-il.

Il considère maintenant ces pertes comme des avantages. «En faisant ce que le client souhaite, on peut, jusqu'à un certain point, être plus détaché face aux résultats. En se mettant à l'écart des cancans, on est jamais impliqué lorsque des guerres se déclarent dans les organisations», dit-il.

Pour évacuer les frustrations du travail, Michel Panagis organise des rencontres avec des amis informaticiens ou travailleurs autonomes qui partagent des expériences similaires.

C'est toutefois dans son engagement au sein de l'AQIII qu'il a trouvé sa principale voie de socialisation. Cette association de 700 membres offre notamment des services d'assurances et plusieurs occasions de réseautage.

Michel Panagis reproduit également régulièrement certaines grandes traditions sociales du bureau. Il convie à des «5 à 7» ou des parties de billards des clients et des informaticiens avec qui il effectue des mandats. Il organise des dîners d'adieu ou de fête.

«J'ai besoin de ces contacts. Je sais que d'autres travailleurs autonomes limitent leurs contacts sociaux à leur famille et à leurs amis. Ça leur suffit et c'est bien ainsi si c'est ce qu'ils désirent», conclut-il.