Revenu Québec cible un autre réseau qui utiliserait le stratagème du «flip» immobilier pour s'enrichir, a appris La Presse Affaires. Au cours des dernières années, ce réseau de Montréal aurait réalisé 210 transactions et 13,5 M$ de profits non déclarés au fisc.

Revenu Québec cible un autre réseau qui utiliserait le stratagème du «flip» immobilier pour s'enrichir, a appris La Presse Affaires. Au cours des dernières années, ce réseau de Montréal aurait réalisé 210 transactions et 13,5 M$ de profits non déclarés au fisc.

Essentiellement, deux maîtres d'oeuvres, cinq prête-noms ou associés et quatre notaires auraient participé au stratagème d'achat-revente, soutient Revenu Québec.

Les principaux bénéficiaires s'appellent Andrew Lacey et Éric Émery, de Montréal, selon le Ministère, qui a fait des perquisitions à 37 adresses différentes en 2004 et 2005.

À la fin avril, La Presse Affaires rapportait que le fisc avait démantelé un autre présumé réseau (Groupe immobilier Access). Ce réseau aurait empoché 8,8 millions à l'abri du fisc entre 1999 et 2006 avec des transactions à Gatineau, Laval et Lachute.

Selon la Chambre des notaires, le flip de propriétés «est un processus qui consiste à procéder à plusieurs ventes rapides d'une même propriété avec, entre chacune, une hausse artificielle du prix. Le financement de la dernière transaction est obtenu en fonction d'un prix très élevé et sert à l'acquisition de l'immeuble lors de la première vente. Ainsi, le fraudeur, au moyen d'une fausse évaluation, d'un prête-nom et souvent d'une offre d'achat fictive, acquiert un immeuble, trompe le créancier en le surévaluant et empoche la différence de financement».

Deuxième réseau

Ce deuxième réseau mis au jour par Revenu Québec aurait réalisé ces transactions entre 1999 et 2003, selon l'un des mandats de perquisitions dont nous avons obtenu copie.

Depuis 2005, le fisc a perquisitionné divers bureaux de notaires, mais ces derniers lui ont refusé l'accès aux documents, invoquant le secret professionnel.

Le 20 juin dernier, la Cour supérieure a jugé la preuve de Revenu Québec suffisamment étoffée pour obliger les notaires à remettre les documents. Revenu Québec s'en servira pour porter des accusations, s'il y a lieu.

Le réseau aurait fait affaires sous les noms Rebirth, Andrew Lacey Unique immobilier, Les immeubles L.C. Unique ou Jaxandre. Les 210 transactions portaient sur des immeubles à revenus de Montréal, notamment dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

«Toutes les transactions ont été faites par l'intermédiaire d'un prête-nom. La revente de l'immeuble se faisait à un prix supérieur à l'achat et, dans la majorité des cas, le même jour ou les jours suivants. Les revenus de ces ventes n'ont pas été déclarés», est-il écrit dans un mandat de perquisition.

Les enquêteurs de Revenu Québec ont interrogé certains particuliers qui ont affirmé avoir servi de prête-noms à la demande de Andrew Lacey ou Éric Émery. Ces particuliers touchaient généralement 250$ par transaction.

«Au fil du temps, j'ai appris comment l'organisation fonctionnait (...) Habituellement, le vendeur d'immeuble recevait un prix représentant la valeur du marché. Par contre, le prix de vente de l'immeuble au nouvel acheteur était souvent gonflé afin que ce dernier obtienne du financement de 100% du prix de la transaction», a déclaré à Revenu Québec une ancienne employée de l'organisation. Selon elle, le profit du stratagème «allait à Andrew Lacey ou Éric Émery», selon le cas.

Un autre individu dit s'être mis «dans la merde» en servant de prête-noms, selon la déclaration à Revenu Québec.

L'homme ne se rappelle pas combien il recevait par immeuble parce qu'il était dans les «vapes». Il utilisait l'argent pour jouer aux machines vidéo-poker et pour boire.

Selon Revenu Québec, deux personnes ont plus particulièrement servi de prête-noms ou d'associés, soit Guy Arseneault et Jacques Valade. Revenu Québec soupçonne le premier d'avoir omis de déclarer 2,4 millions entre 1999 et 2002, et le second, 5,1 millions entre 1999 et 2003.

Antécédents disciplinaires

Les transactions ont été réalisées par l'entremise de quatre notaires, qui ne sont pas ciblés par Revenu Québec. Selon nos vérifications auprès de la Chambre des notaires, trois d'entre eux ont des antécédents disciplinaires. Entre autres, Bertrand Ducharme n'est plus actif depuis l'automne 2004 à la suite d'une série de manquements aux normes.

Plus de la moitié des 210 transactions ont été réalisées par l'entremise de la notaire Brenda Langlois, d'Outremont. Jointe au téléphone, Mme Langlois a affirmé que cette organisation ne faisait pas de flip immobilier, mais de la spéculation immobilière tout à fait légale. Ils achetaient des immeubles endommagés, les retapaient très rapidement et les revendaient.

"Chez nous, on a pris toutes les précautions et respecté la loi. Les personnes qui trouvaient les immeubles n'étaient pas des prête-noms, mais des associés du groupe. Ils agissaient par procuration. Quand un associé achetait une bâtisse, il l'achetait en son propre nom, mais tous les profits étaient mis ensemble pour racheter d'autres immeubles. Les associés avaient des conventions de partage de profits", a essentiellement expliqué Mme Langlois, qui affirme ne pas avoir à se soucier des questions fiscales, en tant que notaire.

Le syndic de la Chambre vient de déposer une plainte disciplinaire contre Mme Langlois, mais il n'est pas possible de connaître la nature des reproches. En 2000, Brenda Langlois avait été condamnée à une amende disciplinaire de 3100$ pour divers manquements.

En décembre dernier, le syndic a également déposé une plainte disciplinaire contre un autre notaire mêlé à cette affaire, Serge Cadieux. La nature de la plainte sera connue bientôt. En 1997, Me Cadieux avait été condamné à une sanction de 6600$ dans une autre affaire.

La Presse Affaires a tenté par divers moyens de joindre Andrew Lacey, Éric Emery, Guy Arsenault ou Jacques Valade, mais sans succès. S'ils sont reconnus coupables, en plus de devoir acquitter les impôts éludés, ils sont passibles d'amendes représentant de 125% à 200% de ces montants.