Si vous demandez à un étudiant au MBA, à un conseiller pédagogique ou à l’internet comment entrer au cabinet-conseil McKinsey, la réponse comprendra sans doute une liste d’« écoles cibles » prestigieuses où McKinsey a toujours recruté. Aux États-Unis, c’est souvent Harvard, Yale et Stanford.

Mais de nos jours, McKinsey voit plus large. « L’exceptionnel peut venir de n’importe où », peut-on lire sur son site de recrutement, qui ajoute : « Nous embauchons des personnes, pas des diplômes, nous croyons en votre potentiel, quel que soit votre CV ».

McKinsey a doublé le nombre d’écoles où il prend ses nouveaux employés, passant d’environ 700 à 1500, selon Katy George, directrice des ressources humaines, citée en 2023 par le magazine Fortune.

De nombreuses sociétés épousent cette nouvelle approche.

Le terme « élite » n’a jamais été bien vu aux États-Unis, mais il en a vraiment pris pour son rhume depuis peu. Dans la bouche de Donald Trump, durant la campagne de 2016, c’était presque une insulte ; le mouvement Black Lives Matter a attiré l’attention sur les disparités raciales sur le parcours qui mène à la richesse et au pouvoir ; dans les universités, la liberté d’expression et les espaces sûrs sont devenus des sujets brûlants, avec des textes d’opinion intitulés « L’élite universitaire est déconnectée » et « Pourquoi je n’embauche plus de diplômés des grandes écoles ».

Les marqueurs traditionnels de brillance, comme le diplôme d’une grande école, sont remis en question. Les entreprises ont dû trouver d’autres moyens de montrer aux recrues, aux investisseurs et aux clients qu’elles sélectionnent vraiment les candidats les plus doués. Agrandir le filet de recrutement est une solution, mais peut reproduire en partie les mêmes lacunes que l’ancienne approche.

Expressions à la mode

Après l’assassinat de George Floyd en 2020, certaines entreprises ont renouvelé publiquement leur engagement en faveur de la nouvelle Sainte Trinité diversité-équité-inclusion. Elles ont embauché des responsables DEI et publié des rapports de responsabilité.

Cette approche est vite devenue un champ de mines politique et, parfois, un risque juridique. Aujourd’hui, on parle moins de diversité (même si certains sondages montrent que l’objectif demeure). Certains patrons insistent sur l’inclusion ou « l’appartenance ». Mais déjà, il y avait une tendance vers une idée plus large.

« L’embauche selon les compétences » et « briser le plafond de papier » (le préjugé contre les sans diplôme universitaire) sont des expressions à la mode.

Selon le cabinet-conseil BCG, le concept de « compétence avant le diplôme » signifie que les employeurs doivent cesser d’être obsédé par le diplôme et chercher vraiment les gens armés des bonnes compétences, peu importe comment ils les ont acquises.

Il s’agit d’instaurer la méritocratie. Et tout le monde s’y met. McKinsey a conçu un jeu vidéo censé évaluer les capacités cognitives des candidats « bien au-delà du CV ou de l’entrevue conventionnelle ». McKinsey a aussi publié un site web de préparation aux entrevues permettant « aux candidats exceptionnels, quelle que soit leur origine, de réussir nos entrevues », qu’ils aient ou non accès à du coaching… « ou à un réseau d’anciens camarades d’université ayant de bons contacts dans le secteur de la consultation ». La Bank of America s’est liée à 34 collèges communautaires et dit avoir embauché et formé des milliers d’employés issus de ces écoles. Goldman Sachs, qui faisait les entrevues de jeunes candidats seulement dans quelques grandes universités, les fait désormais en virtuel : « Nous rencontrons du talent issu d’endroits où nous n’allions pas auparavant », a écrit son directeur du capital humain en 2019.

Moins d’exigences pour un diplôme

Une poignée d’entreprises, dont Walmart en 2023, ont complètement cessé d’exiger un diplôme pour les emplois administratifs et une dizaine d’États ont fait de même pour certains postes de la fonction publique. En 2020, une coalition de grandes sociétés, dont Accenture, JPMorgan Chase et Deloitte, s’était donné pour mission de placer plus de travailleurs noirs dans des emplois bien payés. Ce groupe vient de modifier sa mission et promeut désormais « l’embauche à base de compétences, pas juste du diplôme ».

Il y a consensus chez les économistes : cesser d’exiger des diplômes superflus (prestigieux, dans le cas de McKinsey) est une bonne chose ; la main-d’œuvre est rare, et les diplômes sont de plus en plus chers. Se fier moins aux diplômes peut aussi accroître la diversité, même si ce n’est pas un objectif déclaré.

« La personne la plus qualifiée pour le travail mérite le poste et doit l’obtenir. Comment peut-on s’opposer à ça ? », dit Anthony Carnevale, qui vient de prendre sa retraite en tant que directeur du Centre pour l’éducation et la main-d’œuvre de l’Université de Georgetown et qui a travaillé sur l’emploi sous trois administrations de la Maison-Blanche.

Sans surprise, c’est plus facile à dire qu’à faire.

Ainsi, il est difficile aux États-Unis de définir exactement les qualités requises pour un travail donné – sans parler de l’évaluation de ces qualités – sans risquer une poursuite en justice, note M. Carnevale. « Imaginez-vous en train d’établir – avec des avocats dans la salle – les connaissances, compétences, aptitudes, traits de personnalité, valeurs professionnelles et intérêts professionnels requis ; c’est délicat. »

Comme quand on se fie au diplôme, on peut avoir un biais en évaluant un candidat sur son expérience, note Anthony Abraham Jack, chargé de cours à l’Université de Boston. Par exemple, a-t-il dit, « les marqueurs traditionnels d’évaluation ignorent en particulier le travail que les étudiants à faible revenu accomplissent pour le compte de leur famille ».

Bref, l’embauche basée sur les compétences n’est pas la panacée qui amènera la méritocratie parfaite à l’embauche. « Ça ne se règle pas en criant ciseaux, et il n’y a pas de solution miracle », résume Joelle Emerson, PDG de Paradigm, un cabinet-conseil en DEI. « En général, si ça a l’air trop beau pour être vrai – comme, par exemple, l’embauche basée sur les compétences –, c’est parce que c’est trop beau pour être vrai. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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