On s’attend d’un gestionnaire à ce qu’il s’attaque aux tâches difficiles, qu’il fasse preuve de courage, qu’il sache gérer la pression, qu’il choisisse les bonnes priorités, qu’il prenne des risques et aussi qu’il se donne du temps pour réfléchir, se renouveler et parfaire ses compétences.

Encore faut-il avoir un mécanisme pour rechercher ses angles morts, à défaut de quoi, le risque est grand de ne pas allouer son temps à ce qui peut procurer une différence réelle à l’organisation.

Bien qu’une forte capacité d’introspection puisse être utile, rien ne vaut un dialogue avec son équipe, ses collègues et son patron afin de bien identifier ses zones d’ombre et se munir de garde-fous pour y remédier. Je conviens volontiers que le processus est simple, mais pas nécessairement facile.

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Yvon Charest, ex-président et chef de la direction d’Industrielle Alliance

Il faut d’abord se convaincre qu’avoir des conversations difficiles est le passage obligé pour développer une version améliorée de soi-même. Il faut avoir une certaine confiance en soi pour aller chercher le feedback et agir de façon conséquente, pour entendre l’opinion d’autrui et pour mettre son identité à risque. Il faut finalement installer un climat propice aux échanges véritables. Mais une fois ces conditions réunies, la culture du silence fait place à des découvertes qui ne sont pas toujours plaisantes, mais qui sont si riches pour grandir comme gestionnaire et être humain.

Prenons une première question à poser pour aller au cœur de la connaissance de son ombre : quels sujets de discussion ai-je tendance à éviter dans les conversations même avec les personnes de mon entourage immédiat ?

Imaginons quelques réponses reçues de collègues : on perd rapidement notre avantage compétitif, nos clients sont de moins en moins satisfaits, on se sent obligé de te dire seulement ce que tu veux entendre ; tu t’esquives chaque fois que l’on pose une question délicate ; tu exiges un rythme de travail insoutenable, tu tolères des employés non performants, tu perds ta boussole quand la pression monte ou encore la recherche obsédante de l’efficacité te fait perdre ta bienveillance.

Imaginons maintenant quel serait le climat de travail après qu’une solution appropriée a été trouvée pour chacun des points soulevés. Le climat de travail serait tout simplement transformé et un pas important aurait été franchi dans la longue marche pour devenir un dirigeant accompli.

On ne peut répondre à certaines des questions pour apprivoiser son ombre que par un travail d’introspection, telles les questions suivantes : dans quelles situations est-ce que je me sens devenir nerveux, hypersensible et sur la défensive ? Quels types de remarques me font sursauter ? Quels genres de critiques m’agacent, voire m’irritent ? La vivacité de ma réaction m’étonne-t-elle ?

Imaginons quelques réponses : je suis nerveux quand je ne sens pas que mes compétences sont à la hauteur, je suis irrité quand je ne me sens pas au cœur des discussions durant une rencontre clé, je suis en colère quand je me sens trahi ou quand une de mes décisions importantes est mise en doute.

Réfléchissons maintenant aux causes sous-jacentes ainsi qu’à des garde-fous qui pourraient neutraliser ces émotions nuisibles. Il se peut que nous soyons en présence d’un discours intérieur trop sévère ou d’une posture consistant à se sentir trop souvent en mode compétition et pas assez en mode collaboration.

Parmi les garde-fous envisageables, il est possible de donner à une personne de confiance le pouvoir de demander une « pause réflexion », il pourrait être utile de prendre le temps d’analyser la situation du point de vue d’autrui ou d’utiliser son énergie de façon plus positive en cherchant à comprendre les leviers de succès d’une autre personne.

Ces heures décisives, celles qui permettent de monter au balcon pour réfléchir avec lucidité à son principal outil de travail, soi-même, sont souvent les plus importantes que l’on omet d’inscrire dans son agenda.