Construction Nexus, une entreprise d’excavation souvent sanctionnée pour ses manquements environnementaux, déleste depuis des mois des sols provenant de chantiers de la région de Montréal sur les bandes riveraines de la rivière des Outaouais à Kanesatake. Alors que le Conseil de bande mohawk met en demeure Nexus pour qu’elle arrête d’y déverser ces débris, des chefs mohawks qui craignent une contamination des eaux ont été violemment pris à partie, a appris La Presse.

5 juin 2024. Des camions de l’entreprise lavalloise Nexus convergent vers la petite municipalité d’Oka. En près d’une heure, La Presse recense une dizaine de camions qui, de l’autoroute 640, empruntent le chemin d’Oka et le rang Sainte-Philomène longeant la rivière des Outaouais.

Une fois sur le territoire mohawk de Kanesatake, ces véhicules entrent sur un terrain récemment déboisé. C’est là, à l’extrémité du site, près du cours d’eau, qu’ils déversent les sols chargés plus tôt dans un chantier de la région de Montréal.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Une fois sur le territoire mohawk de Kanesatake, les véhicules entrent sur un terrain récemment déboisé et déversent les sols chargés plus tôt.

Un camion que nous avons suivi chargeait des sols d’un chantier routier à Beaconsfield. À la suite d’une démarche similaire, le média anglophone The Rover avançait pour sa part, samedi, que des sols de chantiers de construction à Laval et en bordure de l’autoroute 440 étaient déversés en territoire mohawk.

Des images que La Presse a captées avec un drone montrent un camion de 10 roues qui, à Kanesatake, déleste 20 m⁠3 de pierre et de terre de sa benne. À côté, une pelle mécanique et un bulldozer compactent les amas qui s’accumulent ici et là. Une heure plus tôt, ce même bulldozer travaillait la surface d’un terrain voisin où le remblai a fait disparaître la plage qui jusqu’à récemment s’y trouvait.

Ce va-et-vient quotidien des camions de Nexus dérange et inquiète des membres de la communauté. Le 14 mai dernier, le Conseil de bande a d’ailleurs fait parvenir une mise en demeure à l’entreprise – et à son président, Romeo Sacchetti – pour forcer l’arrêt des travaux. « Si vous croyez, ou si on vous a avisé, qu’il s’agit d’une région de non-droit, vous vous trompez », lit-on dans le document que La Presse a obtenu.

Le Conseil y rappelle « que les lois fédérales environnementales s’appliquent, tout comme les lois provinciales en matière d’environnement ». Si Nexus ne cesse pas « immédiatement tout déversement sur le territoire mohawk de Kanesatake », des poursuites seront entamées, déclare le Conseil de bande.

« Malgré les tentatives des membres du Conseil pour bloquer l’accès de ces camions au territoire mohawk, les chauffeurs de votre entreprise ont continué à arriver et à considérer Kanesatake comme un site de déversement non réglementé », est-il écrit.

Ce que cette mise en demeure ne décrit toutefois pas, c’est la division que suscitent ces activités dans la communauté. Une situation explosive qui a mené, en mai dernier, à une violente altercation entre le propriétaire d’un des sites et deux chefs du Conseil, Serge Otsi Simon et Brent Etienne.

Dans une vidéo visionnée par La Presse, on voit les chefs questionner un camionneur de Nexus. Quelques minutes plus tard, le propriétaire du site arrive et la situation dégénère. Une bagarre éclate. Ce dernier assène un coup de poing à l’un des chefs alors qu’un employé projette au sol l’autre membre du Conseil de bande.

Le chef Brent Etienne, impliqué dans l’altercation, déplore ce qui se déroule à Kanesatake : « C’est vraiment regrettable que des gens qui n’ont pas à cœur notre communauté modifient complètement le territoire qui a fait vivre les habitants de Kanesatake depuis 6000 ans. Aussi loin qu’on se rappelle, le lac [des Deux Montagnes] a fourni des poissons à notre peuple et la terre nous a offert les cultures et le bois nécessaires à la construction de nos habitations. »

Son de cloche similaire de la part du chef Serge Otsi Simon : « Pour remblayer comme ils le font, près du lac, ils doivent avoir le feu vert du Conseil de bande et il doit aussi y avoir une étude environnementale. Mais tout ça n’a pas été fait. Ils ont ignoré notre département de l’environnement. »

« J’ai déjà dit au ministre Ian Lafrenière : ce sont des compagnies qui ont des permis de votre gouvernement, donc c’est votre responsabilité d’arrêter ces camions et de les sanctionner », dit-il, indiquant que la négligence des gouvernements est une des causes qui expliquent que des entreprises déversent ainsi des débris en territoire mohawk. Il ajoute du même souffle : « Ça fait mille fois que je le dis qu’on n’a pas les ressources pour arrêter ça. On n’a pas de corps policier ; on n’a pas de casernes et on n’a pas d’officiers pour surveiller l’environnement. »

Pascal Quevillon, maire d’Oka, est bien au fait de la situation. Les camions traversent le centre-ville de sa municipalité pour se rendre à Kanesatake depuis des années. « Mais les va-et-vient sont plus intenses depuis février ou mars de cette année », fait-il remarquer. Il a interpellé les députés de sa circonscription, mais aussi le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, et celui des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière.

Le maire dit craindre une contamination de l’eau potable de la municipalité.

Le ministère de l’Environnement a lui-même de la difficulté à aller chercher des échantillons sur le territoire [pour évaluer l’impact environnemental] parce qu’ils peuvent se faire menacer.

Pascal Quevillon, maire d’Oka

Le président de l’entreprise, Romeo Sacchetti, a refusé nos demandes d’entrevue. Lorsque contactée par La Presse, l’entreprise n’avait pas accusé réception de la mise en demeure que le Conseil de bande a envoyée le mois dernier.

C’est la firme de relations publiques National qui a finalement transmis par courriel des commentaires au nom de Nexus, vendredi dernier. Il y est écrit que l’entreprise a dans les dernières heures pris contact avec le Conseil de bande pour lui demander de « fournir des informations additionnelles afin de mieux comprendre le fondement factuel des éléments qui y sont allégués ».

Nexus affirme qu’elle « n’a déversé en aucun temps des sols dans la rivière des Outaouais » et assure « conserver une bande tampon entre les milieux naturels et le lieu de dépôt ». Son « engagement envers la protection de l’environnement demeure inébranlable », déclare-t-elle, réitérant n’être responsable que du transport des sols et non du remblai.

Habituée des sanctions

Construction Nexus – qui affiche sa certification LEED sur son site internet – est une habituée des infractions environnementales. Depuis 2020, le ministère de l’Environnement lui a transmis six sanctions administratives pécuniaires, l’équivalent de contraventions pour des manquements environnementaux. Trois concernent le traitement sans autorisation de matières résiduelles de construction, à Laval.

Les sanctions des derniers mois sont en lien avec le déchargement de sols, en milieux humides, sur une terre agricole que Nexus a achetée à Mirabel en décembre 2022. Les inspections du Ministère ont permis de déceler la présence d’hydrocarbures dans ce qui était déversé.

La Commission de protection du territoire agricole du Québec a d’ailleurs ouvert une enquête à ce sujet et la municipalité a, pour sa part, forcé la fermeture du site, en septembre dernier.

À Kanesatake, Nexus fait affaire avec l’entreprise Excavation X, responsable du remblai. Son propriétaire, Dany Duchaine, a été impliqué dans plusieurs dossiers de disposition inadéquate de sols. En 2020, le ministère de l’Environnement a sévi contre une autre de ses entreprises – qui se fait appeler Nycel Dépôt ou Remblai Expert – pour avoir déversé des sols contaminés sur une terre agricole de Saint-Eustache.

Plus récemment, il a participé à un remblai non conforme sur une terre agricole de Mirabel appartenant au trésorier de la division Laurentides de l’Union des producteurs agricoles, comme le rapportait l’automne dernier Le Devoir.

Dany Duchaine a refusé d’accorder une entrevue à La Presse. « Allez voir les propriétaires de terrains pour qui je travaille. Moi, je suis engagé par eux autres. Ce n’est pas moi qui fais livrer », a-t-il répondu lorsque questionné sur ses activités en territoire mohawk.