Quand il était président, Donald Trump a critiqué sans relâche la Réserve fédérale et Jerome Powell, son président. Alors qu’il brigue de nouveau les suffrages, ses antécédents suscitent une question à Wall Street : que signifierait un second mandat Trump pour la Fed ?

Trump n’a pas encore de programme détaillé pour la Fed, dit-on dans son entourage, mais des conseillers externes se sont penchés sur la question et ont fait des suggestions : certaines mineures, d’autres extrêmes.

Certains alliés de M. Trump ont évoqué l’idée de restreindre l’indépendance de la Fed sur la fixation des taux d’intérêt, mais d’autres s’y opposent ; selon des sources proches de l’équipe Trump, un projet aussi radical est improbable. Donner à la Maison-Blanche une quelconque influence sur le taux d’intérêt serait juridiquement et politiquement délicat, sans compter l’effet très perturbateur que cela aurait sur les marchés boursiers (que M. Trump a souvent invoqués pour vanter sa présidence).

Mais d’autres domaines de la Fed sont dans le collimateur de M. Trump, disent d’anciens subalternes de l’administration et des économistes conservateurs.

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Donald Trump, qui a nommé Jerome Powell président de la Réserve fédérale en 2017, a clairement indiqué qu’il souhaite un changement à la tête de la banque centrale américaine s’il est élu le 5 novembre 2024.

M. Trump entend de nouveau faire pression sur la Fed en la critiquant publiquement, a indiqué Joseph A. LaVorgna, économiste en chef chez SMBC Nikko Securities America, conseiller informel de la campagne Trump, qui a été économiste en chef du Conseil économique national pendant l’administration Trump.

S’il est élu, M. Trump aura l’occasion de remplacer M. Powell dès 2026, une éventualité déjà clairement évoquée. Rappelons que M. Powell a été nommé à ce poste par M. Trump, puis reconduit dans ses fonctions par Joe Biden.

Certains collaborateurs de M. Trump l’incitent à des changements en profondeur qui pourraient transformer l’institution. Ainsi, la Fed réglemente les grandes banques du pays et M. Trump pourrait s’arroger plus de contrôle sur ce processus afin de rendre les règles moins onéreuses pour les institutions financières.

Voici comment M. Trump pourrait agir envers la Réserve fédérale.

Indépendance de la Fed face à la Maison-Blanche

La Fed est chargée de maîtriser l’inflation : elle élève les taux d’intérêt pour ralentir la demande et réduire la pression sur les prix. Les locataires de la Maison-Blanche aiment toujours mieux des taux d’intérêt bas (qui encouragent les gens à emprunter, ce qui soutient l’économie), mais ils n’ont aucune autorité sur les décisions de la Fed.

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Le vice-président de la Fed chargé de la supervision des banques, Michael Barr, est une cible plus accessible pour Donald Trump s’il est élu.

Cette indépendance est capitale : hausser les taux implique des difficultés économiques à court terme (qui ont coûté leur réélection à plusieurs présidents). Mais c’est l’outil clé pour maîtriser l’inflation. Des études montrent que l’indépendance de la banque centrale dans ses choix – en fonction des besoins économiques du pays et non en fonction des intérêts électoraux du président – produit les meilleurs résultats.

Depuis les années 1990, les présidents ont généralement évité de commenter les décisions de la Fed par respect pour son indépendance.

Mais M. Trump, lui, a régulièrement critiqué la Fed pour ses taux d’intérêt qu’il jugeait trop élevés, qualifiant ses 12 membres de « têtes de bois » et M. Powell, en particulier, d’« ennemi ».

Il semble qu’on rejouera dans ce film si M. Trump est élu : d’ailleurs, il affirme déjà que toute baisse des taux avant l’élection serait un stratagème politique pour aider les démocrates à rester au pouvoir. Il avait dit la même chose avant l’élection de 2016, puis réclamé une baisse des taux d’intérêt une fois au pouvoir.

Dicter ses taux à la Fed serait difficile

Durant son mandat, M. Trump a constaté l’inefficacité de ses critiques. Elles ont seulement agacé les membres de la Fed, qui les ont ignorées en public et qui ont abaissé les taux bien moins que ce que le président réclamait.

Mais voici la grande question : M. Trump irait-il plus loin cette fois-ci et tenterait-il de contrôler directement la Fed ?

Le site web de sa campagne parle de placer des agences indépendantes sous contrôle présidentiel (en promettant de « remettre à leur place les bureaucrates non élus »), mais ne nomme pas la Fed.

Selon des experts en droit public, la Maison-Blanche peinerait sans doute à dicter ses taux à la Fed sans passer par le Congrès pour légiférer. Russell T. Vought, qui dirigeait le Bureau de la gestion et du budget de la Maison-Blanche de Trump, avait reconnu cette réalité en entrevue avec le New York Times en juillet.

Congédier Jerome Powell serait délicat

La Maison-Blanche peut toutefois influencer indirectement la politique monétaire au moyen de nominations quand des gouverneurs membres du conseil de la Fed démissionnent ou arrivent en fin de mandat. Ces responsables représentent sept des douze votes sur la politique des taux d’intérêt de la Fed. En outre, le président, le vice-président et le vice-président chargé de la supervision bancaire sont tous des gouverneurs nommés par la Maison-Blanche.

Aucun de ces postes n’est vacant, seuls deux mandats de gouverneur arrivant à échéance d’ici la fin de 2028. Celui de M. Powell court jusqu’en 2026, mais M. Trump a déjà envisagé de le congédier. Passera-t-il à l’acte s’il est réélu ?

Au début de 2018, M. Trump s’est plaint du « manque de loyauté » de M. Powell et a songé à le congédier, avant qu’on l’informe que cela poserait des problèmes juridiques. En 2020, il a évoqué l’idée de retirer la présidence de la Fed à M. Powell et de le maintenir au conseil comme simple gouverneur, mais il n’a pas donné suite.

Selon certains collaborateurs actuels de M. Trump, congédier M. Powell demeure une option, mais d’autres préviennent qu’elle n’a aucun précédent et qu’elle serait sans doute contestée devant les tribunaux.

En outre, M. Powell sera bien utile comme bouc émissaire si l’inflation reste forte, note M. LaVorgna : « Je ne vois aucun avantage à remplacer le président de la Fed, dit-il. Même s’il n’y avait pas de problème juridique. »

Une exception : la réglementation bancaire

Il semble y avoir une exception à l’ordre du jour : la réglementation bancaire de la Fed.

L’an dernier, M. Vought a déclaré qu’au strict minimum, les fonctions réglementaires de la Fed devraient être soumises à l’examen de la Maison-Blanche.

Les républicains contestent de plus en plus l’indépendance de la Fed – et de son président – dans le domaine de la réglementation des banques.

Christina Parajon Skinner, experte en droit bancaire à l’Université de Pennsylvanie, avance depuis peu que le vice-président de la Fed chargé de la supervision des banques peut être démis de ses fonctions sur simple décret du président, car son rôle n’est pas structuré comme celui du président de la Fed.

Or, celui qui occupe ce poste actuellement, Michael Barr, verra son mandat expirer en 2026. Si Mme Skinner a raison, M. Trump pourrait le remplacer plus tôt.

Elle dément « certaines conjectures » qui prêtent à M. Trump l’intention de réduire l’indépendance monétaire de la Fed, mais elle estime que « la réglementation financière est un élément que l’administration souhaiterait faire pivoter » si M. Trump l’emportait.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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