Un mardi sur deux, des experts en ressources humaines répondent à vos questions. Cette semaine, les conseils d’Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal.

Je n’ai pas terminé mon DEC et il semble que ça me nuit dans mon avancement. Pourtant, j’ai suivi plein de formations pour me qualifier dans différents secteurs… mais ça ne semble pas jouer. Je sais que je suis capable de satisfaire aux exigences de plusieurs postes à pourvoir, mais on me rappelle que je n’ai pas de DEC ! Que faire ? – Jonathan

Votre frustration est partagée par plusieurs. Dans le monde du travail pré-COVID-19, beaucoup d’employeurs avaient adopté des barrières à l’entrée (diplôme, expérience spécifique) qui permettaient de filtrer les candidats dans un contexte de main-d’œuvre abondante.

Aujourd’hui, de nombreux postes demeurent vacants. Les bassins d’emplois traditionnels sont limités, car certains parcours d’études n’attirent plus suffisamment de candidats pour répondre à la demande. À cela s’ajoute le fait qu’un nombre croissant de travailleurs compétents suivent des cheminements de carrière inhabituels et hors normes pour l’employeur vivant encore selon les règles d’un monde du travail pré-COVID-19.

Une barrière de trop ?

Les métiers et professions évoluent rapidement et les compétences requises pour les exercer se transforment également. Entre les emplois professionnels qui exigent une formation universitaire ou collégiale et les emplois souvent précaires, mal payés et exigeant moins de qualifications, il se trouve un vaste éventail d’emplois attrayants et valorisants. En anglais, ces emplois sont qualifiés de middle-ground. Ils sont bien payés, ont une forte composante technique ou font appel à des compétences interpersonnelles/cognitives élevées. Malheureusement, ils restent trop souvent hors de portée des nombreuses personnes qui, comme Jonathan, ne détiennent pas un diplôme postsecondaire.

Un article récent de la prestigieuse revue Harvard Business Review a remis en question la pertinence d’imposer une telle barrière pour des emplois nécessitant des connaissances et des habiletés qui peuvent être acquises par soi-même ou avec l’aide de l’employeur par d’autres voies que la formation diplômante⁠1. C’est sans compter l’impact négatif que cela peut représenter pour les candidats provenant de groupes racisés, déjà marginalisés. Comment peut-on corriger cette situation ?

Explorer le bassin de candidats atypiques

Les employeurs ont tout intérêt à élargir leur recherche de candidats, tant à l’interne qu’à l’externe, en misant d’abord sur les habiletés acquises, plutôt que sur un diplôme qui ne garantit pas de compétences spécifiques ni une performance supérieure. D’ailleurs, le diplôme seul tend à perdre en valeur dans l’emploi. Ainsi, la proportion de diplômés canadiens d’études postsecondaires qui se disent très bien préparés au monde du travail, soit environ le tiers, ne cesse de décliner depuis le début des années 1980⁠2.

Explorer, c’est dépasser la contrainte de l’âge du candidat ou de son parcours scolaire. Considérer une expérience de travail hors des sentiers battus peut révéler un désir de progresser, des compétences fortement demandées, difficiles à acquérir par la formation, et qui sont éminemment transférables, comme l’intelligence émotionnelle, la pensée critique ou la créativité.

Faire de la place aux candidats atypiques est aussi une excellente façon de fidéliser son personnel, une préoccupation dominante chez les employeurs. Toutefois, il faut être prêt à investir dans la requalification des personnes au profil atypique et à leur procurer une rampe d’accès en misant sur l’apprentissage continu dans l’action, comme l’offre de stages, le coaching par les pairs ou le mentorat, ou encore la mise à contribution régulière dans l’analyse et la résolution collectives de problèmes complexes.

Valoriser le talent unique à chacun et les formations qualifiantes

Il importe de considérer qu’un « poste ou métier » n’est plus un bloc immuable, mais plutôt un ensemble de « tâches » dont certaines peuvent être réaffectées à une technologie, à un algorithme ou à une autre personne de talent, comme des blocs Lego assemblables. Au passage, cette redistribution des rôles et responsabilités crée de nouveaux métiers qui n’existaient souvent pas jusque-là. Ce qui se passe avec les médecins en est un bon exemple. Pour alléger leur charge de travail, certaines tâches sont redirigées vers les infirmières cliniciennes ou pivots, ainsi que vers les pharmaciens, et bientôt vers des assistants médicaux, qui se voient confier des tâches administratives et opérationnelles en lien avec les patients.

Jonathan doit profiter de cette mouvance qui ouvre le domaine des possibles et qui redéfinit les règles qui déterminent l’accès aux emplois recherchés. Il fait référence à son investissement continu en formation. Que ce soit soutenu par son employeur ou non, c’est certainement une bonne façon de se positionner favorablement.

Toutefois, d’autres façons de se bâtir un portfolio de compétences reconnues gagnent en popularité. C’est par son talent, c’est-à-dire ses habiletés et ses réalisations démontrées à travers son parcours expérientiel unique, en combinaison avec des certifications ou preuves de compétences spécifiques, qu’il pourra se faire reconnaître ou, encore mieux, obtenir un poste sur mesure en fonction de son profil.

Ces certifications proviennent d’établissements d’enseignement offrant des microprogrammes, d’organismes proposant des formations qualifiantes, par exemple en gestion de projets, ou des badges acquis par des tutoriels ou d’autres formations en ligne. Mais attention, pour le moment, ce ne sont pas toutes les organisations qui acceptent de considérer les certifications, particulièrement les badges, comme une solution de rechange crédible aux diplômes postsecondaires.

1. Lisez l’aticle du Harvard Business Review (en anglais) 2. Consultez le rapport S’adapter au monde du travail en pleine évolution : Rapport final du sondage 2020 sur l’emploi et les compétences