Les normes internationales qui doivent fournir aux investisseurs de l’information claire et vérifiée sur les risques climatiques sont en train de se mettre en place dans le monde, sans les États-Unis, où la Security and Exchange Commission (SEC) vient d’adopter ses propres règles. La Presse en a discuté avec le président de l’International Sustainability Standard Board (ISSB), Emmanuel Faber.

Malgré la diversité des chemins qui y mènent, le mouvement vers un langage commun pour décrire et mesurer les risques climatiques est irréversible et la majorité des pays s’y conformeront, estime celui qui travaille depuis 2019 à mettre de l’ordre dans le fouillis actuel des normes ESG.

« C’est l’accès des entreprises au capital qui est en jeu », affirme Emmanuel Faber, qui est le premier invité de la 4édition du Sommet de la finance durable qui s’ouvre ce matin à Montréal.

L’ISSB a mis sur la table ses deux premières normes qui obligeront les entreprises cotées en Bourse à mesurer leur empreinte environnementale et à divulguer les risques climatiques auxquels elles sont exposées.

Le principe a été largement approuvé par 135 pays et plusieurs ont adopté les deux normes telles quelles, mais pas les États-Unis, où la SEC vient de publier ses propres balises en matière de divulgation des risques climatiques.

« La SEC a posé des normes qui sont extrêmement proches des nôtres, mais sur le climat, la SEC n’a légiféré que sur les émissions directes et pas sur les émissions indirectes (Scope 3), dit le président de l’ISSB. Après la consultation mondiale qu’on a faite, il est très clair que lorsqu’elles sont matérielles, les émissions indirectes doivent être rapportées par les entreprises. »

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Emmanuel Faber, président de l’International Sustainability Standard Board, en 2019, alors PDG de Danone

« C’est dans notre norme et ne pas rapporter sur les émissions indirectes quand elles sont matérielles, et elles le sont la plupart du temps, vous n’êtes pas en conformité avec les normes de l’ISSB. »

Selon lui, la mesure des émissions de Scope 3, qui tient compte de la production jusqu’à la consommation d’un produit, devient une nécessité pour les entreprises.

« Pour une entreprise canadienne qui vend de l’énergie ou des matières premières exposées à de la combustion fossile en Europe, il n’y aura pas de débouchés en Europe dans 15 ans. Ne pas prendre en compte les émissions indirectes, ne pas donner cette transparence aux investisseurs, ce n’est pas protéger les investisseurs. Donc, mécaniquement, ils vont se protéger en prenant une prime de risque sur les capitaux. »

Le Canada a adhéré complètement aux normes de l’ISSB, mais une consultation est en cours sur la façon de les traduire dans la réglementation sur les valeurs mobilières et il serait étonnant que cette réglementation diverge de celle des États-Unis.

« Je ne sais pas », dit le président de l’ISSB au sujet de la position canadienne. Il estime que les États-Unis sont dans un contexte politique particulier qui explique la position prudente de la SEC.

« Ce qui est très probable, ce qui va se passer aux États-Unis, c’est que les entreprises américaines vont ajouter les normes ISSB complémentaires à celles de la SEC pour pouvoir utiliser le langage ISSB comme un passeport pour entrer en Europe, au Brésil, au Mexique et ailleurs, lorsque les émissions de périmètre 3 seront demandées », avance-t-il. Même si ce n’est pas obligatoire aux États-Unis.

Ce sont les grands investisseurs qui ont réclamé ces normes, rappelle celui qui a été PDG de Danone. « Un pays qui n’adopterait pas ces normes ou des normes équivalentes n’aura pas accès aux capitaux globaux », dit-il.

La Banque centrale européenne, par exemple, applique déjà une prime de risque pour financer les banques qui n’ont pas de plan climat assez rigoureux, illustre-t-il.

Étant donné que la soumission des normes internationales est très récente, soit juin 2023, le processus d’adoption va très vite, estime Emmanuel Faber.

Certains pays, dont le Canada, voudraient se garder la possibilité d’adapter les normes internationales à leur contexte national, ce qui risque d’aller à l’encontre de l’objectif premier de l’ISSB, qui est la simplification de la « soupe d’alphabet » actuelle.

« Le risque est là, reconnaît son président. J’ai évoqué cette question de la fragmentation du langage parce que la raison pour laquelle on a poussé pour la création de l’ISSB est que les normes soient un langage aussi global que possible. »