(San Francisco) Stripe, une start-up spécialisée dans les paiements, est un des plus grands succès de la Silicon Valley depuis une génération. L’an dernier, elle a atteint une valorisation de 65 milliards de dollars. Mais depuis sa création il y a 15 ans, l’investisseur ordinaire n’avait aucun moyen d’investir dans cette société.

Cet état de choses frustre les petits investisseurs depuis des années, alors que Stripe, SpaceX, OpenAI et d’autres start-up à capital fermé atteignent des valorisations énormes. Seuls les investisseurs dits « accrédités » disposant d’une valeur nette élevée sont autorisés à risquer leurs billes dans les jeunes pousses technos non cotées. Quand elles finissent par être lancées en Bourse, des années après leur création, le gros de leur croissance est souvent derrière elles et leurs valorisations sont déjà élevées.

Un nouveau fonds coté en Bourse, Destiny Tech100, détient des actions de 23 sociétés technologiques à capital fermé, dont Stripe, SpaceX, OpenAI, Discord et Epic Games. Le fonds, lancé la semaine dernière à la Bourse de New York, vise des participations dans une centaine de jeunes pousses.

PHOTO CHANDAN KHANNA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

De plus en plus d’investisseurs recherchent le risque et la croissance en misant de petites sommes sur de jeunes pousses, et le fonds Destiny Tech100, coté à la Bourse de New York, permet d’investir indirectement dans SpaceX et dans d’autres firmes à capital fermé.

Selon Sohail Prasad, PDG de Destiny XYZ, le fonds veut permettre à monsieur et madame Tout-le-Monde de détenir une partie de diverses grandes entreprises technos non cotées.

« Des dizaines de milliers d’investisseurs individuels sont désormais actionnaires » indirects de ces sociétés, a-t-il déclaré.

Le fonds s’inscrit dans la convergence croissante des marchés publics et privés, depuis quelques années. On voit les « actifs alternatifs » non cotés – investissement privé, fonds spéculatifs, capital-risque, etc. – s’imposer dans l’écosystème de l’investissement en général.

L’investissement en capital-risque dans les start-up technos à capital fermé est passé de 28 milliards en 2009 à 170 milliards en 2023, selon PitchBook, qui suit l’évolution des entreprises non cotées en Bourse.

La pandémie a amplifié cette tendance : de plus en plus d’investisseurs recherchent le risque et la croissance en misant de petites sommes sur de jeunes pousses. Parallèlement, de nouvelles places de marché comme Forge et Augment permettent aux investisseurs de négocier les actions de ces firmes technos non cotées.

Ce type d’investissement demeure généralement inaccessible à l’investisseur moyen. Pour qu’il soit accrédité, la Securities and Exchange Commission (SEC) exige de l’investisseur un patrimoine net de 1 million de dollars ou un revenu annuel de 200 000 $ durant les deux dernières années.

L’investisseur non accrédité, lui, peut tenter d’investir dans des start-up privées en plaçant de l’argent dans des « fonds à intervalles », qui autorisent les investisseurs à vendre seulement une partie de leurs parts à des moments préétablis (à chaque trimestre). Autrement, il y a des fonds communs de placement qui consacrent une infime partie de leurs fonds aux entreprises privées.

En 2014, M. Prasad a fondé Forge, une place de marché pour les actions technologiques non cotées. Il dit avoir lancé Destiny en 2020 pour donner à des personnes comme son père, consultant en gestion au Texas, un accès aux jeunes pousses à forte croissance.

M. Prasad a levé 100 millions auprès d’investisseurs comprenant divers fondateurs de start-up, dont Fred Ehrsam (Coinbase, une plateforme de cryptomonnaies), Charlie Cheever (Quora, le site de questions-réponses) et Heather Hasson (FIGS, un fournisseur d’uniformes médicaux).

M. Prasad et ses cinq négociateurs ont utilisé leurs relations pour acheter les actions des 23 sociétés constituant le portefeuille actuel de Destiny Tech100. Ces sociétés ne laissent pas entrer n’importe qui dans leur capital. Mais lorsque l’entrée en Bourse tarde, il arrive que les employés-actionnaires et les investisseurs de la première heure s’impatientent de passer à la caisse. Les entreprises rentables organisent régulièrement des « appels d’offres » permettant aux employés de vendre leurs actions : Destiny Tech100 en achète.

Contrats de gré à gré

L’autre moyen est d’acheter des actions par des contrats à terme de gré à gré, par lesquels les employés d’une start-up peuvent obtenir de l’argent tout de suite en acceptant de transférer leurs actions à un investisseur lorsque la société entre en Bourse ou est vendue. Destiny a ainsi acheté des actions de Stripe et de Plaid, un fournisseur de technologies financières.

Ces contrats sont controversés. Stripe affirme qu’elle interdit ce procédé à ses employés actuels et anciens et que ces contrats à terme sont nuls et non avenus. Mais Destiny Tech100 est convaincu de leur légalité, rétorque M. Prasad.

Destiny Tech100 vaut environ 365 millions en Bourse. Quand les sociétés dont il est actionnaire sont vendues ou lancées en Bourse, le produit peut être distribué sous forme de dividendes aux détenteurs de parts ou réinvestis dans le fonds. Selon M. Prasad, Destiny Tech100 prévoit conserver les actions pendant un certain temps après l’entrée en Bourse d’une société. Le fonds prélève une commission annuelle de 2,5 %.

Selon James Seyffart, analyste chez Bloomberg Intelligence, seul ce type de fonds permet à l’investisseur moyen d’être exposé à ces sociétés, surtout avec une mise modeste. « Même si on est accrédité, l’investissement minimal est souvent très élevé », dit-il.

Le plus grand risque pour les investisseurs de Destiny Tech100 est le prix fixé par le marché en relation avec la valeur des actifs sous-jacents, a-t-il ajouté.

Si la SEC limite l’investissement dans les start-up technos privées, c’est qu’il est risqué. Les sociétés à capital fermé ne sont pas tenues de dévoiler d’informations sur leurs activités, et leur valeur n’est pas facile à estimer. De plus, la plupart des jeunes pousses ne sont pas rentables.

Le fonds Destiny Tech100 a été lancé au moment où l’appétit des grands investisseurs s’est refroidi face à la haute technologie. Instacart et Reddit, deux firmes technos bien connues qui viennent d’entrer en Bourse, se négocient en deçà de leur dernière valorisation privée. Destiny Tech100 possède des actions d’Instacart, qu’elle a achetées avant l’entrée en Bourse de la société.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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