Une usine « sévèrement ralentie » par des travailleurs en jeans et un employeur qui rétorque que les négociations « progresseront au rythme de la production » : la tension monte d’un cran dans les négociations syndicales entre Airbus Canada et le syndicat qui représente 1300 de ses travailleurs à Mirabel.

Les absents se comptaient par centaines – environ 450, selon nos calculs – à l’intérieur de l’usine d’assemblage de l’A220, lundi, dans la foulée d’un geste de solidarité des salariés pour exprimer leur mécontentement à l’endroit de la deuxième offre patronale, rejetée à 99,9 % la veille.

C’est notamment vêtu de jeans que les syndiqués se sont présentés à l’usine, à la demande de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA). Cela enfreint le code vestimentaire du géant européen, qui préconise les pantalons sans poches dans le but de minimiser les risques d’oublis de « débris de corps étrangers », comme des objets personnels, pendant l’assemblage des appareils.

Toutefois, plutôt que de se changer pour ensuite se rendre au travail, environ 70 % des salariés du quart de jour sont rentrés à la maison, ce qui a suscité une vive réaction d’Airbus, au point où l’employeur a refusé de rencontrer la partie syndicale, lundi, même si une rencontre était à l’horaire dans le cadre d’un « blitz de négociations ».

Le nombre d’employés syndiqués concernés ce matin nous conduit à une situation où la production de l’A220 est sévèrement ralentie. Ainsi, les négociations progresseront au rythme de la production.

Airbus, dans un message envoyé au porte-parole syndical Éric Rancourt

Cette cadence de production de l’ancienne C Series de Bombardier doit être en mesure de s’accélérer pour faire sortir du rouge le programme, détenu à hauteur de 25 % par l’État québécois, d’ici 2026. C’est l’AIMTA qui a fait état de la missive d’Airbus dans un bulletin envoyé à ses membres. Le syndicat demande par ailleurs aux salariés du quart de soir de « respecter sa recommandation », soit de « se changer pour retourner au travail par la suite ».

Airbus Canada a confirmé ne pas avoir négocié avec l’AIMTA, lundi. Sa porte-parole, Annabelle Duchesne, affirme que les pourparlers doivent se dérouler de « manière constructive ».

« Nous ne retrouvions pas dans ces évènements de ce matin la réciprocité adéquate et attendue pour la tenue d’un dialogue efficace », écrit-elle dans un courriel.

Tout sur la table

Dans son avertissement à l’AIMTA, la multinationale européenne affirme qu’elle pourrait envisager « toutes mesures légales » à sa disposition pour assurer que les négociations se poursuivent. Dans ce contexte, le comité de négociation syndical recommande à ses membres de « retourner au travail » ce mardi pour dénouer l’impasse dans les échanges avec l’employeur.

De manière quasi unanime, les syndiqués ont rejeté les deux offres patronales en plus de se doter d’un mandat de grève. Les salaires, l’indexation du régime de retraite, les horaires de travail, les assurances collectives ainsi que l’impartition font partie des points toujours en litige, selon la partie syndicale.

L’A220 vient de tourner la page sur une année record au chapitre des commandes, avec 142 contrats fermes, tout en étant capable d’accroître son nombre de livraisons d’environ 30 % (68 appareils remis à des clients) l’an dernier. La cadence de production doit néanmoins doubler d’ici deux ans à Mirabel ainsi qu’à Mobile, en Alabama, si le programme veut atteindre le seuil de rentabilité.

Après les deux premiers mois de l’année, Airbus a remis huit exemplaires de l’A220 à des clients, comparativement à cinq appareils il y a un an. Les données sur les livraisons pour le mois de mars devraient bientôt être divulguées.

Tout retard sur l’échéancier de rentabilité risque d’avoir des conséquences pour les contribuables québécois, qui ont injecté, jusqu’à présent, 1,7 milliard de dollars dans ce programme développé par Bombardier. En acceptant de remettre 380 millions en 2022, Québec avait pu repousser à 2030 le moment où Airbus rachèterait sa participation dans l’A220.

Plus les profits se font attendre, plus la somme obtenue par l’État québécois risque d’être amputée.

L’histoire jusqu’ici

6 novembre 2023 : début des négociations entre Airbus et l’AIMTA

1 décembre 2023 : la convention collective des 1300 syndiqués arrive à échéance.

17 mars 2024 : la première offre de l’employeur est rejetée à 99,6 %.

7 avril 2024 : les syndiqués rejettent la deuxième proposition à hauteur de 99,9 %.

En savoir plus
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    Chaînes de montage de l’A220. La première est à Mirabel et l’autre à Mobile, en Alabama.
    source : airbus