Le sous-sol du Québec contient possiblement des « quantités commerciales » d’hydrogène naturel, un combustible qui ne génère aucun gaz à effet de serre et qui n’est pas le résultat d’une production humaine comme l’hydrogène vert, révèle une première étude sur le sujet.

Ce potentiel s’explique par la présence, et la qualité, dans la province des « roches mères » dans lesquelles l’hydrogène est habituellement retrouvé à l’état naturel, conclut la vaste recherche intitulée « Potentiel de l’hydrogène naturel au Québec (Canada) : un premier bilan », publiée lundi dans la revue scientifique Frontiers in Geochemistry.

La taille du Québec, la diversité de ses environnements géologiques et leur large gamme d’âges en font « un territoire prometteur pour l’exploration de l’hydrogène naturel », écrivent les auteurs.

« Il y a beaucoup de recherches académiques ou d’exploration par des compagnies privées ailleurs dans le monde, mais pas au Québec, pas au Canada ; mais ça s’en vient », a déclaré à La Presse l’auteur principal de l’étude, Stephan Séjourné, géologue d’exploration, président d’Enki GéoSolutions et professeur associé au Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).

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Stephan Séjourné, géologue d’exploration, président d’Enki GéoSolutions et professeur associé au Centre Eau Terre Environnement de l’Institut national de la recherche scientifique

L’étude se veut donc un « état des lieux pouvant servir de point de départ » et vise à éviter une ruée désordonnée qui risquerait de créer des conflits d’usage et ainsi compromettre l’acceptabilité sociale de l’exploitation de cette ressource, poursuit M. Séjourné.

À la grandeur du Québec

L’hydrogène naturel est créé par des processus physiques ou chimiques dans des types de roches, des conditions et des environnements particuliers, résume Stephan Séjourné.

« Les minéraux présents dans certaines roches peuvent réagir, se transformer en d’autres minéraux et, pendant ce processus, libérer de l’hydrogène », explique-t-il.

Ce qui est beau avec ça, c’est que c’est la nature qui s’en occupe.

Stephan Séjourné

Et les conditions pour que cela se produise peuvent se retrouver un peu partout au Québec, révèle l’étude à laquelle il a participé, qui a d’ailleurs détecté la présence avérée d’hydrogène à certains endroits.

Au sud du fleuve Saint-Laurent, les « roches mères » sont situées en profondeur, sous des couches sédimentaires, ce qui est plus propice à la découverte de réservoirs d’hydrogène, résultats d’une accumulation passée.

Au nord du fleuve, dans le Bouclier canadien, les « roches mères » sont davantage en surface, où l’hydrogène est moins susceptible de s’accumuler dans des réservoirs, mais où une « production contemporaine » est possible.

Car c’est l’une des particularités de l’hydrogène : certains gisements découverts dans le monde semblent se renouveler, explique M. Séjourné.

À l’opposé, l’hydrogène vert est le résultat d’un procédé industriel ; l’hydrogène peut notamment être extrait de l’eau par électrolyse, en décomposant les molécules d’eau avec un courant électrique, ce qui requiert de grandes quantités d’électricité.

L’hydrogène ne génère aucun gaz à effet de serre (GES), car il ne contient pas de carbone ; lors de sa combustion, la molécule d’hydrogène, qui est composée de deux atomes d’hydrogène (H2), se scinde et se recombine avec une molécule d’oxygène pour former de l’eau (H2O).

Transition énergétique

Longtemps considéré comme une « curiosité géologique », l’hydrogène est maintenant vu comme une solution pour décarboner les usages énergivores difficiles à électrifier, mais il est peu probable qu’il remplace les hydrocarbures à grande échelle, croit Stéphan Séjourné.

« L’hydrogène est une molécule très petite, qui s’échappe facilement des contenants, donc il est très coûteux d’en transporter de grandes quantités sur de grandes distances », explique-t-il, entrevoyant davantage des exploitations à petite échelle situées près des utilisateurs finaux.

Ce qui va changer la donne, ce sont de petites découvertes qui s’accumulent et qui vont avoir un impact local.

Stéphan Séjourné

M. Séjourné donne l’exemple d’un gisement découvert récemment par des chercheurs français dans une mine en Albanie, qui aurait le potentiel d’en faire fonctionner les équipements lourds et ainsi décarboner sa production.

« L’important avec l’hydrogène naturel, c’est ce qu’on en fait. Si ça vient s’ajouter à la consommation d’hydrocarbures, ça ne nous aidera pas beaucoup pour la transition énergétique, mais si ça vient remplacer les hydrocarbures, là, ça devient utile », indique M. Séjourné.

Prochaines étapes

Cette étude donne un aperçu des six rapports que le gouvernement Legault a commandés aux mêmes chercheurs de l’INRS, portant notamment sur l’état des connaissances scientifiques actuelles sur l’hydrogène naturel et les façons de le détecter, mais aussi dressant l’inventaire des « secteurs de roches sources potentielles pour l’hydrogène naturel » dans la province.

Ces rapports ont été remis l’été dernier au ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE), qui ne les a pas encore rendus publics et qui a refusé de les transmettre à La Presse, affirmant qu’ils sont encore au stade d’ébauche.

Le Ministère n’a pas voulu indiquer à La Presse ce qu’il entendait en faire.

La « Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies 2030 », publiée en 2022 par le gouvernement Legault, ne mentionnait qu’une seule fois l’hydrogène naturel, appelant à en documenter le potentiel au Québec.

Maintenant que c’est chose faite, « la prochaine étape logique, ce serait d’aller voir […] s’il y en a en quantité suffisante pour que ça puisse contribuer à la transition énergétique et comment on peut l’exploiter de manière responsable », estime Stephan Séjourné.