Plus de deux ans après s’être engagé à apprendre le français après avoir déclenché une tempête linguistique, le président et chef de la direction d’Air Canada, Michael Rousseau, n’est pas encore considéré, par son employeur, comme un administrateur capable de s’exprimer avec aisance dans la langue de Molière.

C’est le constat qu’il est permis de dégager en analysant la plus récente circulaire de sollicitation envoyée aux actionnaires du plus important transporteur aérien au pays, qui est assujetti à la Loi sur les langues officielles, en vue de son assemblée annuelle prévue le 28 mars.

« M. Rousseau a continué à respecter son engagement personnel à apprendre le français », explique Air Canada – un passage que l’on retrouvait textuellement dans le document transmis l’an dernier.

Le grand patron de l’entreprise établie à Montréal siège aussi au conseil d’administration, qui compte 13 membres. Selon la circulaire, 15 % des administrateurs, soit deux personnes, parlent un « français courant », ce qui signifie qu’ils sont capables de s’exprimer avec aisance en français. C’est le cas de la femme d’affaires Madeleine Paquin et de l’avocat Jean-Marc Huot. M. Rousseau est donc exclu du compte.

Dans l’ensemble, les 13 membres du C.A. d’Air Canada maîtrisent parfaitement l’anglais et 54 % possèdent « divers niveaux de compétence » en français.

L’entreprise n’a pas répondu aux questions de La Presse visant à en savoir davantage sur ces « niveaux de compétence ». Elle affirme ne pas avoir de « détails supplémentaires à partager » sur la « répartition individuelle » des compétences linguistiques de ses administrateurs.

M. Rousseau avait déclenché une vive controverse à l’automne 2021 en marge d’un discours prononcé presque exclusivement en anglais devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). En marge de l’évènement, le gestionnaire avait reconnu avoir vécu paisiblement au Québec, où il est installé depuis 2007, sans maîtriser la langue officielle de la province.

Ce tollé avait incité le gestionnaire à s’engager à apprendre le français. Air Canada avait aussi promis que la langue de Molière ferait partie des critères d’évaluation du rendement de son grand patron. Depuis, il n’a pas été possible de témoigner des progrès de M. Rousseau en français.

Des avancées

Dans sa circulaire, la compagnie aérienne souligne à ses actionnaires ses efforts visant à « promouvoir les deux langues officielles du Canada ». Six des sept membres de son « comité exécutif » sont bilingues, souligne-t-on. L’an dernier, Air Canada s’était aussi inscrite « volontairement » auprès de l’Office québécois de la langue française en vertu de la Charte de la langue française.

Malgré tout, Air Canada n’a pas envie de divulguer les langues maîtrisées par chacun des membres de sa haute direction. Le transporteur aérien invite ses actionnaires à rejeter la proposition du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) en ce sens.

Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire de divulguer les compétences linguistiques de chaque membre de la haute direction. Nous faisons observer qu’aucune obligation de déclaration n’est prévue dans la législation en ce qui concerne les compétences linguistiques des dirigeants.

Extrait de la plus récente circulaire d’Air Canada

Parmi les entreprises de Québec inc., des poids lourds comme la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), AtkinsRéalis (autrefois SNC-Lavalin) ainsi que la Banque Nationale divulguent déjà les langues parlées par chacun de leurs administrateurs.

L’an dernier, le MEDAC dit avoir soumis cette demande à une vingtaine de sociétés cotées en Bourse en ajoutant que la réponse avait été positive dans la « quasi-totalité » de ces entreprises, y compris les sept grandes banques canadiennes. La question linguistique fait partie des questions de diversité, plaide l’organisme, dans sa proposition envoyée à Air Canada.

En vigueur, cette proposition du MEDAC obligerait notamment le transporteur aérien à indiquer clairement si la maîtrise du français de M. Rousseau est suffisante « pour en permettre l’utilisation généralisée » dans l’exercice de ses fonctions.

Primes en hausse

Les cinq plus hauts dirigeants d’Air Canada ont par ailleurs eu droit à des primes totalisant 5,2 millions – une hausse annuelle de 18 % – en 2023 alors qu’Air Canada a renoué avec la rentabilité. L’entreprise a engrangé des profits de 2,3 milliards, ce qui n’a pas empêché son action d’afficher un rendement négatif de 2,3 % à la Bourse de Toronto.

À lui seul, M. Rousseau a reçu 2,6 millions.

Dans l’ensemble, la rémunération globale – qui tient compte du salaire de base, des primes, des options sur des actions et autres avantages – de la haute direction d’Air Canada s’est élevée à 25 millions l’an dernier, en hausse de 14 % par rapport à 2022.

Le président a eu droit à un traitement de 12 millions, qui tient compte d’un salaire de base de 1,3 million et de 7,8 millions en attributions fondées sur des actions ainsi que des options.

En savoir plus
  • 39 000
    Nombre d’employés d’Air Canada à la fin de 2023
    source : Air Canada
    188
    Nombre de liaisons directes sur six continents offertes par le transporteur
    source : AIR CANADA