Dans chaque entreprise se cache au moins un employé qui se distingue tant par son efficacité que par l’appui qu’il offre à ses collègues ou l’appréciation des clients. La Presse vous a demandé d’identifier cet employé dans votre entourage. Nous vous présenterons leur histoire.

Chignole, ciseau à jambe de chien, vastringue, varlope, tarabiscot, rabot à chanfreiner japonais, trusquin à roulette millimétrique, voilà le quotidien de Vincent Roy. Il ne gagne pas sa vie en travaillant le bois — quoique c’est un de ses passe-temps —, il sculpte un matériau autrement difficile : les mots.

Vincent Roy, 63 ans, est depuis 2010 le principal artisan de l’adaptation française du site web et des catalogues de Lee Valley, une entreprise familiale d’Ottawa qui distribue, fabrique et, parfois, invente des outils et accessoires de haute qualité, notamment pour le travail du bois.

L’entreprise est dirigée par le PDG Robin Lee. Sa femme, Lucie Robitaille, dirige le service à la clientèle. Quelques années avant l’ouverture du premier magasin Lee Valley au Québec, Mme Robitaille a défini le mandat de francisation de Lee Valley confié à Francisation InterGlobe (FIG), de Montréal, en 2010.

« C’était toute une affaire ! », note Mme Robitaille, avec fierté. « Vincent Roy a été le tout premier employé de l’équipe de francisation. Nous le connaissions, il avait travaillé durant des années comme rédacteur à la revue Réno-Bricolage. C’est un homme calme, consciencieux, qui a une écoute exceptionnelle et qui se souvient de tous les détails. »

M. Roy et deux autres ex-employés de FIG travaillent maintenant pour Lee Valley.

D’ailleurs, c’est l’ancien patron de M. Roy chez FIG qui l’a suggéré à La Presse : « Nous avons fermé FIG en 2021, mais durant plus de 10 ans, mes associés et moi avons pu compter sur un homme d’exception », dit Mathieu Brisset des Nos. « Il a été au centre d’une équipe de 10 terminologues et traducteurs qui a traduit tout le catalogue. Il a fait toute une job ! »

Lee Valley est une quincaillerie très atypique et son catalogue d’outils a l’air d’une revue d’art. Son site est quasi encyclopédique, les milliers d’outils et d’accessoires ayant au moins une courte description. Certains outils sont très beaux, très spécialisés et le choix est vaste. Vous cherchez des mèches de toupie pour ouvrer les pièces d’un meuble ? L’auteur de ces lignes en a trouvé 79 variétés (il a arrêté de compter là). On y trouve des merveilles, comme le trusquin haut de gamme fait main à Saint-Roch-des-Aulnaies en petites séries par l’ébéniste François Cullen avec un bois rose d’Amérique du Sud (ce bel objet sert à tracer une ligne parallèle à l’arête d’une pièce de bois).

Avant 2010, les catalogues et le site de Lee Valley étaient en anglais seulement.

Outre la quantité de matière à adapter, « il y a eu des cas problèmes » de terminologie, dit M. Roy, qui a fait des études en lettres françaises et suivi des cours de lutherie et d’ébénisterie. « Au Québec, le monde des outils a un pied en Europe et l’autre dans la culture américaine. Les outils viennent surtout des États-Unis et, souvent, les termes français ne correspondent pas à la nature et l’usage de l’outil offert ici. »

De nombreux termes oubliés ou jamais utilisés de ce côté-ci de l’Atlantique ont été trouvés dans de vieux dictionnaires français. Mais il a fallu adapter et inventer des termes respectant la logique technique de chaque objet et le génie de la langue française. Un long et coûteux travail de terminologie.

L’austère auto-adjust toggle clamp est devenu la pétillante « sauterelle autoréglable » (un outil de serrage servant à immobiliser une pièce à percer ou à toupiller), tandis que l’indigeste bevel-up jack rabbet plane est devenu le melliflu « riflard à feuillure » (un rabot long, mais pas aussi gros qu’une varlope). Le Peavey log, nom obscur pour le non-initié, est devenu « tourne-bille à éperon », qui indique mieux que cette espèce de harpon doté d’un crochet sert à déplacer des billes de bois.

Certains termes, on le voit, sont très originaux et ont fait sensation quand le site français de Lee Valley a fait son chemin au Québec après 2010, augmentant sa clientèle d’artisans, d’ébénistes et de bricoleurs passionnés.

Un dénommé Pierre Foglia en a parlé deux fois dans La Presse en 2014, s’émerveillant de la « poésie quincaillière » du catalogue de Lee Valley, « une douce musique » et « un rare hommage à notre langue », comparativement aux « rugueux catalogues de Rona et autres Home Depot ».

Autre hommage, d’un autre genre, Circuit, la revue de l’Ordre des terminologues, traducteurs et interprètes agréés du Québec, a demandé à M. Roy une étude de cas sur Lee Valley, qui a été publiée en 2017.

M. Roy reconnaît que son métier requiert de la créativité, mais il dit privilégier avant tout la rigueur : « Je me répète souvent qu’on est lus par nos clients, des gens qui connaissent mieux ça que nous. »

Il se répète aussi qu’il aime son métier et qu’il est chanceux de le pratiquer dans une entreprise où on est à cheval sur la qualité du français.

« On reçoit encore des courriels de clients qui se réjouissent de la beauté des mots français ou qui nous disent que le catalogue est sur leur table de chevet, dit M. Roy. Mais ça arrive moins souvent maintenant, comme si les gens tenaient désormais ça pour acquis. »

Voilà une pensée rassurante, à l’époque où on entend encore souvent au Québec des gens parler de drills, de grinders et de crowbars.

Pour Noël, on leur souhaite de recevoir un catalogue Lee Valley et de se laisser tenter par un guillaume à nez aplati, une herminette de sculpteur ou, pourquoi pas ? une scie-cloche diamantée pour ardoise.

Lisez l’étude de cas sur Lee Valley dans la revue Circuit

Vincent Roy

Principal artisan de l’adaptation française du site internet et des catalogues de Lee Valley

Vincent Roy a été le tout premier employé de l’équipe de francisation. C’est un homme calme, consciencieux, qui a une écoute exceptionnelle et qui se souvient de tous les détails.

Lucie Robitaille, dirigeante du service à la clientèle chez Lee Valley

Précision 
Dans une version précédente de cet article, le président de Francisation InterGlobe était identifié comme Bernard Brisset des Nos. Il s’agit de Mathieu Brisset des Nos. Nos excuses.