La vague d’attaques contre les navires marchands en mer Rouge oblige les entreprises à emprunter des itinéraires plus longs et menace de nuire à une économie mondiale déjà chancelante.

Les houthis, un groupe armé soutenu par l’Iran qui contrôle la majeure partie du nord du Yémen, utilisent des drones et des missiles pour cibler les navires depuis que le Hamas a attaqué Israël le 7 octobre. Cette situation a contraint certains géants du transport maritime et certaines sociétés pétrolières à éviter le canal de Suez, ce qui pourrait entraver le commerce mondial et faire grimper le coût des marchandises importées.

Le canal de Suez est une artère vitale pour les porte-conteneurs et les pétroliers. Depuis son ouverture en 1869, des marchandises et du carburant en provenance d’Asie et du Moyen-Orient sont acheminés vers l’Europe et les États-Unis par ce canal. Depuis plus d’un siècle, la Grande-Bretagne et d’autres puissances mondiales se sont livrées à des guerres et à des intrigues géopolitiques autour du canal, aujourd’hui contrôlé par l’Égypte.

Environ 50 navires passent par le canal de Suez chaque jour et des données récentes suggèrent que, depuis lundi, au moins 32 ont été détournés, a déclaré Chris Rogers, responsable de la recherche sur la chaîne d’approvisionnement chez S&P Global Market Intelligence. Il a fait remarquer que près de 15 % des importations européennes étaient transportées par voie maritime à partir de l’Asie et du golfe Persique, et que la plupart d’entre elles passaient par le canal de Suez.

Peter Sand, analyste en chef chez Xeneta, une société d’analyse du marché du transport maritime, a décrit les problèmes en mer Rouge et dans le canal comme « un désastre à petit feu qui a vraiment explosé ce week-end ». Il a ajouté : « Toutes les personnes impliquées dans le transport maritime mondial, en particulier dans les chaînes d’approvisionnement reliées par le canal de Suez, essaient de savoir où se trouvent leurs marchandises et où elles se dirigent. »

Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a annoncé lundi la création d’une nouvelle force multinationale chargée de « relever conjointement les défis en matière de sécurité dans le sud de la mer Rouge et dans le golfe d’Aden, dans le but de garantir la liberté de navigation pour tous les pays et de renforcer la sécurité et la prospérité de la région ».

Cet effort commun, auquel participeront les forces armées des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de Bahreïn, du Canada et de la France, a été annoncé après qu’un navire de guerre américain a abattu samedi 14 drones lancés du territoire contrôlé par les houthis.

Lundi, la société pétrolière BP a annoncé qu’elle suspendait ses expéditions par le canal de Suez, invoquant la « détérioration des conditions de sécurité pour le transport maritime ».

Les entreprises qui transportent des produits tels que des jouets et des appareils électroniques en provenance d’Asie dans de vastes porte-conteneurs ont également déclaré qu’elles cesseraient d’envoyer des navires dans la région. Un navire appartenant à l’une de ces sociétés, Maersk, a été attaqué la semaine dernière.

Maersk a déclaré mardi que tous ses navires à destination de la mer Rouge seraient détournés de l’Afrique via le cap de Bonne-Espérance « pour garantir la sécurité de [son] équipage, de [ses] navires et des marchandises de [ses] clients qui se trouvent à bord ». Jusqu’à ce que la route soit plus sûre, le détour par l’Afrique constituera « une solution plus rapide et plus prévisible pour les clients et leurs chaînes d’approvisionnement ».

Des millions en carburant

L’instabilité près du canal de Suez survient à un moment où la sécheresse a contraint les exploitants du canal de Panamá, autre maillon essentiel des chaînes d’approvisionnement mondiales, à réduire le nombre de navires pouvant emprunter cette voie navigable.

Ainsi, 12 % du commerce mondial passe par le canal de Suez et 5 % par le canal de Panamá. Lorsque les sociétés maritimes évitent les canaux, elles doivent souvent dépenser des millions de dollars supplémentaires en carburant pour que les navires empruntent des itinéraires plus longs.

La navigation entre l’Asie et l’Europe via le cap de Bonne-Espérance au lieu du canal de Suez est un détournement qui allongerait le voyage de Singapour à Rotterdam, aux Pays-Bas, de 3300 milles, soit près de 40 %.

Selon M. Sand, l’emprunt de la route du cap de Bonne-Espérance pourrait ajouter environ un million de dollars, soit environ un tiers, au coût d’un voyage aller-retour entre l’Asie et l’Europe. Il a ajouté que certains tarifs de transport maritime avaient augmenté de 20 % ces derniers jours.

Une partie de ce surcoût pourrait être répercutée sur les consommateurs, au moment même où l’inflation ralentit aux États-Unis et en Europe.

Les attentats ont déjà semblé faire grimper le prix du pétrole. Le Brent, la référence internationale en matière de pétrole, a augmenté d’environ 8 % au cours de la semaine écoulée.

L’impact économique a accru la pression sur les États-Unis et d’autres pays pour qu’ils mettent fin aux attaques des houthis. Les dirigeants du secteur du transport maritime ont déclaré qu’une telle force était nécessaire.

« La fermeture du canal de Suez aurait d’énormes répercussions », a déclaré Oystein Kalleklev, PDG d’Avance Gas, qui transporte du propane des États-Unis vers l’Asie. « Nous pensons donc qu’il y aura suffisamment de navires de guerre pour stabiliser la situation. »

Les retards du canal de Panamá ont incité certaines sociétés maritimes qui transportent des marchandises de l’Asie vers la côte est des États-Unis à faire passer leurs navires par le canal de Suez. Mais les problèmes en mer Rouge pourraient maintenant les obliger à passer par le cap de Bonne-Espérance, ce qui rallongerait encore ces trajets.

Contrairement au canal de Suez, le canal de Panamá utilise des écluses, qui soulèvent les navires pour les faire passer d’un océan à l’autre. Le manque de pluie a réduit la quantité d’eau disponible pour remplir les écluses, et l’autorité du canal de Panamá a dû réduire le nombre de navires empruntant la voie navigable. Ce nombre pourrait encore diminuer, car la saison sèche ne fait que commencer.

« La situation du canal de Panamá, a déclaré M. Kalleklev, n’est pas près de se terminer. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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