Jusqu’à 2 milliards en cotisations de toutes sortes ont échappé à l’État québécois en raison du modèle « chauffeur inc. », avance une modélisation de l’Association du camionnage du Québec (ACQ), qui accentue la pression sur le gouvernement Legault en lui offrant une feuille de route pour combattre ce qu’elle qualifie de « fléau ».

Voilà depuis 2012 que ce stratagème est dans la ligne de mire de l’ACQ, qui tente de sensibiliser les gouvernements aux pertes fiscales qu’ils subissent. L’ACQ en a assez de répéter le même refrain. À la fin du mois de novembre, quatre ministères (Transports et Mobilité durable, Travail, Finances ainsi qu’Immigration) ont reçu un document de 35 pages préparé par un cabinet d’avocats, qui, à la demande de l’ACQ, propose une douzaine de changements législatifs pour donner un coup de barre.

« Il n’y a plus de raison pour que rien ne bouge », affirme le président-directeur général de l’ACQ, Marc Cadieux, en entrevue avec La Presse, accompagné de Josyanne Pierrat, directrice, conformité et affaires juridiques, ainsi que Frédéric François, conseiller, affaires économiques et fiscales.

Les « chauffeurs incorporés » sont bien connus dans l’industrie. Ils ne détiennent aucun équipement et ne vendent que leurs services de chauffeur auprès d’un client unique. Cette pratique permet à l’entreprise ayant recours au modèle de réaliser d’importantes économies. Elle est observée aux quatre coins du pays.

Le donneur d’ouvrage n’a pas à payer les cotisations sociales – du Régime de rentes du Québec (RRQ), de l’assurance-emploi (AE), du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) – de l’employé et ce dernier n’aura pas obligatoirement à payer la sienne. Les solutions proposées par l’ACQ ratissent large. Elles concernent à la fois Revenu Québec, la CNESST, le ministère des Transports et de la Mobilité durable, la Société de l’assurance automobile du Québec et le ministère des Finances.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Cadieux, président-directeur général de l’Association du camionnage du Québec

« Une compagnie qui se soustrait à tout ce mécanisme bénéficie d’économies qui peuvent varier entre 20 % et 30 %, affirme M. Cadieux. L’État se prive aussi d’un panier de redevances sociales, pas seulement pour notre industrie, mais pour la société en général. Tout ça alors que l’on cherche de l’argent à gauche et à droite. De plus, le chauffeur incorporé ne bénéficie pas des protections sociales. »

Pertes considérables

À la demande de l’ACQ, le cabinet Cain Lamarre a préparé deux scénarios pour donner une idée des conséquences du modèle « chauffeur inc. ». Le groupement affirme que ces hypothèses sont conservatrices.

Dans le premier cas, 2 % des détenteurs des permis de classe 1, soit 3954 personnes, seraient des « chauffeurs incorporés ». Depuis 12 ans, c’est 771 millions qui n’ont pas été versés en cotisations. En ce qui a trait à l’autre, on recense 5 % des titulaires de permis, ou 9885 personnes. La somme perdue frôle alors 2 milliards.

« On se fait de plus en plus tasser par les compagnies qui se tournent vers les chauffeurs incorporés », dit Jean-François Pagé, vice-président directeur chez Transport Hervé Lemieux. « On ne demande pas une somme d’argent au gouvernement, on veut que les lois soient appliquées. »

Fondée en 1947, Transport Hervé Lemieux est l’une des plus importantes entreprises de camionnage au Québec. Elle effectue du transport général et spécialisé. Dans le créneau du « transport dédié », elle soumissionne sur des contrats qui peuvent s’échelonner sur quelques années. La concurrence du modèle « chauffeur inc. » est de plus en plus marquée, dit M. Pagé.

« Le perdant, c’est le chauffeur, affirme-t-il. C’est lui qui peut se faire prendre par les autorités fiscales. L’entreprise va s’en laver les mains. »

Il y a une dizaine de propositions mises de l’avant par l’ACQ. Essentiellement, elles visent à compliquer la tâche aux entreprises lorsque vient le temps de « brouiller les pistes » auprès des autorités, affirme M. Cadieux. Étant donné qu’il y a un plan clair présenté par son organisation au gouvernement Legault, le président de l’ACQ s’attend à ce que des gestes rapides soient faits.

Jeudi dernier, le ministre du Travail, Jean Boulet, lui a envoyé une missive dans laquelle il disait avoir « pris connaissance » des propositions. Sans offrir d’échéancier, M. Boulet écrit que « des travaux sur la question sont déjà planifiés » au sein de son ministère.

Quelques solutions proposées par l’ACQ

Obligation pour les entreprises de délivrer des T4A aux chauffeurs pour faciliter la traçabilité.

Inscription obligatoire des agences de placement de personnel au registre de la Commission des transports du Québec avec le numéro de permis de la CNESST.

Bonifier les pouvoirs de la CTQ envers les agences de placement.

Modifier la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles pour qu’un employé constitué en société soit considéré comme un travailleur, au même titre qu’un travailleur autonome.

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  • 500
    Nombre de membres de l’ACQ
    Source : aCQ