Le gouvernement Legault est en train de faire adopter un projet de loi qui restreint le droit de propriété des Québécois, critique le cabinet d’avocats Fasken dans un bulletin. Un autre avocat soutient que la marraine du projet de loi, Geneviève Guilbault, est en conflit d’intérêts.

« Une réforme qui s’inspire du communisme ? », s’est questionné MNikolas Blanchette, associé senior chez Fasken sur LinkedIn la semaine dernière. Chef d’équipe en litiges immobiliers, il représente essentiellement des expropriés.

La publication dont il est l’un des auteurs, intitulée La réforme du droit de l’expropriation au Québec par le projet de loi 22 : dérive du droit de propriété et déclassement du Québec à l’échelle de l’Amérique du Nord, descend en flammes le projet de loi du gouvernement caquiste.

Lisez le bulletin de Fasken

Pour le gouvernement, le projet de loi 22 vise à moderniser la Loi sur l’expropriation en balisant de façon stricte l’indemnité à verser à l’exproprié. Le projet de loi cherche à faire correspondre l’indemnité à la valeur marchande du bien exproprié à la place du concept en vigueur de valeur au propriétaire qui mène à des abus, selon le gouvernement. Le projet de loi répond à une demande des villes qui veulent abaisser leurs coûts d’expropriation. Par exemple, la Communauté métropolitaine de Montréal vise à atteindre l’objectif de 30 % de milieux naturels protégés dans le Grand Montréal en 2030.

Dans le projet de loi 22, on dit qu’on veut aller chercher une valeur marchande. Ce n’est pas vrai, selon ma lecture du projet de loi. On peut aller bien en dessous de la valeur marchande, ce qui pour moi devient un appauvrissement.

MNikolas Blanchette, associé senior chez Fasken

« Les seuls États où on prend le bien sans payer la valeur marchande, ce sont des États plutôt communistes. Si on appauvrit quelqu’un, c’est de la spoliation », avance-t-il dans un entretien avec La Presse.

L’avocat rappelle que l’exproprié n’est pas un vendeur normal. Il est forcé de se départir de son bien à un moment qu’il n’a pas choisi et qui peut lui être désavantageux.

Les articles 75, 101, 102, 115 du projet vont mener possiblement à un appauvrissement de l’exproprié, donne comme exemple le juriste de Fasken. « Aucune autre province canadienne ne va si loin », soutient-il.

Les articles 75 et 115 portent sur l’indemnité à verser à l’exproprié, tandis que les articles 101 et 102 empêchent toute possibilité de réclamer des dommages des suites des travaux d’expropriation.

Une ministre en conflit d’intérêts

Le déroulement de l’étude détaillée du projet qui a commencé le mercredi 18 octobre n’augure rien de bon pour le droit des expropriés, si on se fie aux propos du juriste Sylvain Bélair chez De Grandpré Chait, avocat spécialisé en expropriation qui a participé à la rédaction du mémoire du Barreau du Québec. Il représente lui aussi des expropriés dans sa pratique.

« Je suis renversé par la tournure que prend ce projet de loi qui vient porter atteinte de façon sans précédent au droit de propriété, dit-il dans un entretien téléphonique. C’est un recul par rapport aux règles qui existent. »

L’avocat respecté va jusqu’à affirmer sur LinkedIn que la ministre Guilbault est en conflit d’intérêts.

« Il aurait fallu que ce projet soit parrainé par le ministre de la Justice, détaille-t-il au téléphone. À partir du moment où le plus grand corps expropriant vient dire : “voici comment le tribunal va fixer les indemnités”, ce n’est pas correct que l’une des deux parties [d’un litige] établisse les règles d’indemnisation. »

M. Bélair dénonce aussi que le projet de loi 22 a été préparé par les représentants des Transports et des regroupements municipaux, sans la présence de représentant des propriétaires privés.

« Je comprends que des gens devront céder leur propriété pour le bien commun, mais pas sans compensation, dit au téléphone le député libéral de l’Acadie, André Morin. Les gens qui seront expropriés ne doivent pas s’appauvrir ni s’enrichir non plus. Je cherche juste à trouver un équilibre dans ce projet de loi. »

Il a été impossible d’obtenir les commentaires du cabinet de la ministre Guilbault avant la tombée.

L’étude du projet de loi 22 se poursuit ce mardi.

Quatre dispositions qui affaiblissent les pouvoirs des citoyens expropriés

  • Une ville ou tout autre corps expropriant doit autoriser au préalable les honoraires professionnels et frais d’expertise qui seront encourus par l’exproprié et que ce dernier entend réclamer à titre d’indemnité à recevoir dans les cas où l’indemnité dépasse les 750 000 $. – Article 74
  • Un corps expropriant n’a plus à compenser les dommages causés par les travaux de construction lors d’une expropriation. – Articles 101 et 102
  • Les honoraires professionnels des avocats de l’exproprié ne constituent pas un préjudice causé directement par l’expropriation et ne donnent pas droit à un remboursement, à moins que l’expropriant ait agi de mauvaise foi. – Article 102
  • Une Ville qui aurait fait de l’expropriation déguisée (en changeant le zonage pour faire baisser la valeur marchande de la propriété, par exemple) pourra choisir de ne pas payer au propriétaire l’indemnité décidée par le Tribunal. Elle pourra simplement modifier a posteriori le règlement de zonage visé par la décision de la Cour. – Articles 170 et 171