Cette semaine, Pauline Marois, ancienne première ministre du Québec, dont on retrouve le témoignage dans le livre Histoires de leadership, qui sort ces jours-ci, répond à nos questions sur le leadership.

Dans une société moderne qui ne cesse de parler d’équité et d’inclusion, les jeunes femmes s’étonnent qu’une seule femme dans l’histoire du Québec ait pu accéder à la tête de la province. Est-ce un mauvais concours de circonstances ?

Il n’y a pas beaucoup de modèles de femmes qui ont exercé des fonctions de si haut niveau à travers le monde. On en voit maintenant dans les pays nordiques, du côté de l’Océanie, de l’Australie et en France. Mais on part de loin. Un peu comme le Québec partait de loin au moment de la Révolution tranquille. On a eu le droit de vote en 1940, on l’a exercé en 1944. On a eu lentement accès à l’université dans les professions reconnues et bien rémunérées. L’Assemblée nationale est en zone paritaire, pour la première fois, depuis 2022. Quand on y pense, le chemin parcouru en plus d’un demi-siècle est énorme. Ce sont des changements culturels et sociologiques majeurs, et c’est normal que ça prenne un peu de temps. On voudrait que ce soit plus rapide, on est impatiente, mais c’est tout ce contexte qu’il faut considérer quand on regarde la fonction de première ministre.

Comment doit-on préparer la prochaine génération de leaders et de présidentes ? À qui cette responsabilité ? Vous avez déjà donné un bon coup de pouce en créant des garderies accessibles à tous. Est-ce que c’est la société qui doit en faire plus, l’école ou les parents ?

Autant l’école, les parents que les institutions doivent travailler la confiance. Souvent, les femmes ont tendance à se sous-estimer en termes de capacité à exercer le leadership. Cette question de confiance, on la reconnaît et on la soutient davantage chez les jeunes garçons. J’ai été privilégiée, car chez mes parents, il n’y avait pas de distinction entre les garçons et les filles. Même si mes parents exerçaient leurs fonctions de façon traditionnelle, tout était accessible aux deux sexes, et je crois que ç’a joué dans mon cas. Il y a aussi l’ambition qu’on valorise moins chez une femme. C’est plus négatif. Un jour, j’ai dû répondre à un chroniqueur qui m’avait traitée d’ambitieuse comme si c’était mal. Or, il faut justement être ambitieuse en maudit pour devenir première ministre !

Est-ce qu’il y a une qualité sur laquelle les femmes devraient miser ?

Notre grande rigueur. On est très exigeantes vis-à-vis de nous-mêmes. C’est une qualité qui a son revers, parce qu’on voudrait être parfaites pour accéder à des postes de responsabilités. Il reste que c’est une qualité qu’on devrait rechercher chez les leaders, et les femmes ont développé davantage cet aspect de leurs compétences et de leur personnalité.

Dans le livre, vous expliquez qu’en donnant plus de responsabilités à vos équipes, vous les avez senties plus motivées et engagées. En ces temps de pénurie de main-d’œuvre, comment peut-on tirer son équipe vers le haut ?

Une des caractéristiques d’un leader, c’est de savoir s’entourer de gens consciencieux, qui ont de bonnes expériences et qui sont même plus compétents que le leader dans certains champs professionnels. Une fois qu’on a fait les bons choix, il faut être capable de déléguer. Plus on va faire confiance, plus les gens vont s’engager, plus ils vont donner le meilleur d’eux-mêmes, car ils vont sentir que les résultats à atteindre et les plans à définir reposent sur leurs épaules. Dans les dernières années, on a délégué plus de gestes aux infirmières et aux pharmaciens, des gestes autrefois exécutés par les médecins. Je crois qu’on devrait leur donner encore plus de tâches et de latitude afin qu’ils mettent encore plus à profit leur talent et leur expérience.

Que pensez-vous des qualités modernes des leaders, comme l’authenticité, l’empathie et la transparence ?

Ce sont des atouts qui font qu’un leader va être entraînant, va aller chercher l’adhésion et mobiliser son équipe. Une des grandes qualités d’un leader, c’est d’avoir une vision, une perspective et de savoir où on s’en va. Les gens vont nous suivre s’ils savent où l’on veut aller et pourquoi. On va inspirer confiance. On ne peut pas tout dire, surtout en politique, mais on doit aller le plus loin qu’on peut pour créer un attachement à une organisation.

Mais il y a aussi des décisions à prendre, n’est-ce pas ?

Être un leader, dans mon cas, ç’a été de vivre des moments de grande solitude dans la prise de décision. On sait qu’on ne plaira pas à tout le monde, mais c’est important qu’on puisse agir. Même si parfois la décision qu’on a à prendre est douloureuse, le bien supérieur exige qu’on le fasse.

En politique, on doit tous les jours prendre des décisions. C’était l’une de mes forces d’être capable de prendre des décisions dans des situations difficiles ou controversées. Je détestais laisser traîner les choses, parce que ça s’envenime et, souvent, les impacts sont pires que de prendre la décision en temps opportun. Je me souviens que dans la région de Québec, ça faisait 30 ans qu’on débattait sur l’endroit où on allait situer le Centre mère-enfant Soleil (CMES). J’ai dû trancher. On a fait les meilleures analyses qu’on pouvait faire, on a utilisé les données les plus pertinentes pour voir à quel endroit on allait mieux servir la population et, finalement, on a décidé que c’était au CHUL à Sainte-Foy. Quand j’ai pris cette décision, je peux vous dire qu’il y a des gens qui n’étaient pas heureux.

Comment doit-on se préparer à passer le flambeau à l’autre génération et partir ?

Je n’ai pas beaucoup d’expérience de ce côté ! Je ne suis pas partie volontairement ! Je crois qu’il faut embaucher des jeunes en début de carrière pour leur permettre d’apprendre. Dans mes cabinets, c’est ce que je faisais. Une fois qu’on est parti, on se rend disponible. Je le fais avec des jeunes qui effectuent des recherches et je suis très active avec Forces AVENIR. C’est une façon de redonner, de partager mes compétences et d’inspirer.

Histoires de leadership

Histoires de leadership

Éditions Carte Blanche

200 pages