Dès cet été, les jeunes âgés de moins de 14 ans devront dire adieu à leur gagne-pain au restaurant du coin ou à l’épicerie. Le projet de loi 19 encadrant le travail des enfants, adopté jeudi à Québec, aura assurément des impacts sur plusieurs entreprises et sur l’été des vacanciers qui pourraient avoir du mal à trouver un endroit pour manger… le lundi soir.

Ce qu’il faut savoir

  • Le projet de loi 19, qui vise à encadrer le travail des enfants, a été adopté jeudi à Québec.
  • Ainsi, il sera désormais interdit aux enfants âgés de 13 et moins de travailler sauf pour, par exemple, garder des enfants, faire de l’aide aux devoirs ou encore être moniteur dans une colonie de vacances.
  • À partir du 1er septembre, les enfants en âge de travailler ne pourront avoir un horaire surpassant 17 heures par semaine pendant l’année scolaire.

« À Rouyn-Noranda, l’été passé pendant le congé de la construction, la moitié des restos étaient fermés », raconte la propriétaire de la rôtisserie O’Poulet et du bar laitier O Glacier, Marie-Hélène Rivard. Tout porte à croire que le scénario devrait se répéter cette année puisqu’il s’agit de la seule façon pour les restaurateurs d’accorder un peu de repos à leurs employés.

Les sites de plusieurs établissements, notamment en Gaspésie, indiquent que ceux-ci ne sont pas ouverts le lundi et le mardi. Certains accueillent même leurs clients à partir du jeudi. Ainsi, des vacanciers pourraient donc devoir se rabattre sur l’épicerie du coin pour se sustenter en début de semaine.

Ce phénomène qui a pris de l’ampleur depuis la pandémie en raison de la pénurie de main-d’œuvre ne fera que s’accentuer à la suite du départ des jeunes travailleurs âgés de moins de 14 ans, selon l’Association Restauration Québec (ARQ). « Pour plusieurs exploitants, il va y avoir une réflexion sur les heures d’ouverture », lance sans détour son vice-président aux affaires publiques et gouvernementales, Martin Vézina.

Selon les chiffres du ministère du Travail, près de 90 000 jeunes âgés de moins de 14 ans ont présentement un boulot à temps partiel.

Le projet de loi 19 adopté jeudi à l’Assemblée nationale stipule que les enfants âgés de moins de 14 ans ne peuvent occuper un emploi sauf, par exemple, pour livrer des journaux, garder des enfants ou travailler dans un camp de vacances. Ceux qui travaillent pour leurs parents pourront conserver leur gagne-pain, si l’entreprise familiale compte 10 employés ou moins.

Les employeurs auront 30 jours après sa sanction pour faire parvenir des cessations d’emploi à leurs jeunes travailleurs. Une fois celle-ci reçue, le travailleur pourra continuer à travailler pendant environ deux à trois semaines. Ainsi, à partir de la mi-juillet, plusieurs entreprises devront trouver des solutions de rechange. Le projet de loi limite également à 17 le nombre d’heures de travail par semaine pendant l’année scolaire.

« Je suis extrêmement heureux. Pour moi, c’est une avancée significative », a déclaré le ministre du Travail, Jean Boulet, au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse.

Employeurs, parents et jeunes travailleurs, que pensez-vous de la nouvelle loi empêchant le travail chez les moins de 14 ans ?

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Situation difficile pour les régions

« L’impact va se faire sentir surtout en région, affirme pour sa part M. Vézina. C’était un bassin de travailleurs pour plusieurs entreprises saisonnières. »

L’attente pour se faire servir son cornet de crème glacée ou sa poutine à la cantine pourrait être plus longue cet été. « Notre industrie affronte encore plusieurs défis, vestiges de la pandémie, et ces jeunes employés nous donnaient un sérieux coup de main dans certaines régions, même s’ils ne constituaient pas la majorité de nos brigades d’employés, soutient Josée Vaillancourt, directrice des communications du Groupe St-Hubert. Nous invitons tous ces travailleurs à revenir nous voir dès qu’ils auront l’âge requis… ils nous manqueront certainement ! », dit-elle, ajoutant dans le foulée que la chaîne de rôtisseries va évidemment respecter la réglementation en vigueur.

Les employeurs qui enfreindront la loi sont passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 1200 $ pour une première infraction. Dans le cas d’une récidive, ceux-ci pourraient devoir payer 12 000 $.

En Gaspésie, Simon Veilleux, copropriétaire d’une épicerie Marché Richelieu à Causapscal, devra se résoudre à mettre à pied Maxime, son neveu de 13 ans. « Il travaille 8 ou 9 heures par semaine quand il est à l’école. Pendant l’été, il était censé en faire plus. »

En saison estivale, le commerce de M. Veilleux situé le long de la route 132 voit son chiffre d’affaires augmenter de 30 %. De nombreux touristes viennent s’y approvisionner. En prévision de l’été, et pour remplacer son neveu, il a embauché deux jeunes de 14 ans.

Et que fera Maxime ? « Il va rester chez lui à faire je ne sais trop quoi, se désole-t-il. Ses deux parents travaillent. Je trouve ça vraiment triste pour lui. »

Malgré le mécontentement de certains entrepreneurs, le ministre du Travail demeure convaincu que c’était la chose à faire. « La solution de fond à la pénurie de main-d’œuvre est vraiment multidimensionnelle. Il y a d’autres mécanismes qui permettent d’accroître la productivité. »

M. Boulet ajoute que les stratégies de recrutement de main-d’œuvre ne doivent pas « s’appuyer d’abord et avant tout sur des enfants de 11 ans, 12 ans, 13 ans ».

Mais en raison des difficultés de recrutement, aurait-il pu accorder un « sursis » aux restaurateurs et aux commerçants en permettant aux travailleurs de moins de 14 ans de conserver leur emploi jusqu’à la fin de l’été ?

« On va prendre le risque qu’il y ait des accidents de travail cet été pour le bénéfice d’avoir une période d’emploi ? Non. J’étais beaucoup plus guidé par la protection des enfants pour éviter des accidents de travail avec des blessures corporelles graves ou des séquelles psychologiques. L’interdiction, elle va devoir s’appliquer dans les délais qui sont prévus par la loi. »