Après avoir bâti la plus grande serre sur toit au monde, l’entreprise montréalaise Les Fermes Lufa se lance dans l’agriculture intérieure. Une aventure qu’elle souhaite rentable grâce à un pari audacieux : offrir un panier de légumes gratuit à plus de 100 000 foyers québécois au cours de la prochaine année.

« Vous venez voir notre projet secret ? » Le PDG des Fermes Lufa, Mohamed Hage, nous entraîne au fond d’un entrepôt gris et vide. Derrière une porte anonyme se cache une vaste pièce baignée d’une lumière rose fluorescente. En dessous, un tapis luxuriant de verdure.

Des laitues, des épinards, des fines herbes, des céleris, des cressons : des milliers de plants poussent dans un système hydroponique grâce à cet éclairage composé d’un millier de lampes DEL.

Ce « projet secret » – que La Presse a pu visiter en primeur – est une ferme intérieure. Sa construction s’est achevée le 31 mars au 4e étage de l’ancien centre de distribution de Sears, dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Les premières semences ont été plantées le 3 avril et la toute première récolte aura lieu ce jeudi.

Des verdures cultivées toute l’année sans soleil
  • L’entreprise d’agriculture urbaine a ouvert en primeur à La Presse les portes de sa nouvelle ferme intérieure.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    L’entreprise d’agriculture urbaine a ouvert en primeur à La Presse les portes de sa nouvelle ferme intérieure.

  • Edith Desrosiers, directrice des projets et de la construction, et Mohamed Hage, PDG et cofondateur des Fermes Lufa. « On s’attend à ce que la ferme intérieure soit aussi productive que nos serres, mais en théorie, ça devrait être plus productif », affirme ce dernier.

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    Edith Desrosiers, directrice des projets et de la construction, et Mohamed Hage, PDG et cofondateur des Fermes Lufa. « On s’attend à ce que la ferme intérieure soit aussi productive que nos serres, mais en théorie, ça devrait être plus productif », affirme ce dernier.

  • La construction s’est terminée le 31 mars 2023. « Les avantages d’une ferme intérieure, c’est qu’on est capable de contrôler la température, l’humidité, le niveau de CO2 et d’avoir de la lumière jusqu’à 18 heures par jour », souligne M. Hage.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    La construction s’est terminée le 31 mars 2023. « Les avantages d’une ferme intérieure, c’est qu’on est capable de contrôler la température, l’humidité, le niveau de CO2 et d’avoir de la lumière jusqu’à 18 heures par jour », souligne M. Hage.

  • Si la ferme intérieure est un succès, cet espace adjacent abritera la phase 2 du projet. « Regardez autour de vous, ça ressemblait à ça », a lancé M. Hage lors de la visite. « Imaginons les deux phases à 40 000 unités par jour. Quand on parle de souveraineté alimentaire, ça joue un très grand rôle. »

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Si la ferme intérieure est un succès, cet espace adjacent abritera la phase 2 du projet. « Regardez autour de vous, ça ressemblait à ça », a lancé M. Hage lors de la visite. « Imaginons les deux phases à 40 000 unités par jour. Quand on parle de souveraineté alimentaire, ça joue un très grand rôle. »

  • Les verdures ont besoin d’environ 250 micromoles de lumière photosynthétique par mètre carré par seconde, alors que le soleil peut en fournir jusqu’à 2000. À titre de comparaison, les tomates ont besoin d’une luminosité de 1000 micromoles pour croître.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Les verdures ont besoin d’environ 250 micromoles de lumière photosynthétique par mètre carré par seconde, alors que le soleil peut en fournir jusqu’à 2000. À titre de comparaison, les tomates ont besoin d’une luminosité de 1000 micromoles pour croître.

  • La nouvelle ferme comprend aussi une section pour faire pousser les semis dans des étagères de tables inondables. De 400 à 500 variétés différentes seront testées cette année pour trouver les plus goûteuses et les plus productives dans cet environnement.

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    La nouvelle ferme comprend aussi une section pour faire pousser les semis dans des étagères de tables inondables. De 400 à 500 variétés différentes seront testées cette année pour trouver les plus goûteuses et les plus productives dans cet environnement.

  • Le système de planches amovibles permet de produire deux fois plus de légumes dans le même espace, explique Mohamed Hage. Plus la laitue grossit, plus les planches sont espacées sur les rails.

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    Le système de planches amovibles permet de produire deux fois plus de légumes dans le même espace, explique Mohamed Hage. Plus la laitue grossit, plus les planches sont espacées sur les rails.

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Lorsqu’elle fonctionnera à plein régime, la ferme intérieure pourra produire jusqu’à 20 000 unités de légumes-feuilles par jour.

Les fermes Lufa exploitent quatre serres sur toit dans la région de Montréal. Au fil du temps, l’entreprise est devenue une épicerie complète en ligne qui livre chaque semaine 30 000 commandes à ses abonnés, ce qui représente environ 2 % du marché montréalais.

Cela fera beaucoup de verdures pour chaque client. « Notre vision c’est : si vous le construisez, ils viendront », répond Mohamed Hage.

De la limonade avec des citrons

Depuis sa fondation en 2010, la croissance de l’entreprise a oscillé entre 20 et 30 % par année. Mais durant la pandémie, elle a explosé à 50 %.

Peinant à répondre à la demande, l’entreprise a signé, en 2020, un bail pour le futur emplacement de la ferme intérieure, qui se trouve commodément dans le même édifice que son siège social, sa plus grande serre et son centre de distribution.

Mais le vent a tourné avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt. « Il y a cette association que le local, le bio est plus cher, qui n’est pas toujours réelle », explique M. Hage. « Même si les gens n’étaient pas affectés financièrement, la crainte était là […] Les gens ont pris un peu l’avance sur la protection financière. »

« Pour être très direct, le Q4 [quatrième trimestre fiscal] de l’année passée et le Q1 [premier trimestre fiscal] de cette année, on se réveillait tous les matins et on voyait le nombre de paniers rester le même, mais les paniers étaient de plus en plus petits, et c’était effrayant ! C’est là qu’on a eu l’idée de monter le programme de paniers gratuits. »

Plutôt que de miser sur une campagne publicitaire pour attirer de nouveaux abonnés, Lufa tentera de les convaincre par le ventre. L’entreprise donnera des paniers d’une valeur d'environ 40 $ à 50 $, sans engagement, à ceux qui voudront essayer la formule sur un territoire allant de Gatineau à Québec. Des frais de 6 $ seront exigés pour la livraison.

Objectif : livrer 2000 paniers gratuits par semaine pendant un an.

« On s’attendait à avoir une croissance plus rapide, donc c’est un peu notre façon de faire de la limonade avec des citrons. On a un immense projet, c’est de la belle bouffe : pourquoi ne pas l’offrir à une plus grande partie de la population avec un essai ? Nous, on croit que notre modèle, c’est l’avenir. »

Fou ou prometteur ?

L’offensive est déjà commencée grâce à un lien rendu disponible il y a plusieurs semaines sur les réseaux sociaux. Déjà, de 1200 à 1500 paniers gratuits sont livrés par semaine.

Le taux de conversion – c’est-à-dire ceux qui décident officiellement de devenir membres – est de 20 %, bientôt 25 %.

C’est encore en rodage et on va bientôt l’ouvrir de façon beaucoup plus large. C’est un peu spécial parce qu’on est dans un mode récession, et de pouvoir apporter de la bouffe gratuite aux Québécois et Québécoises, on pense que c’est bien meilleur pour nous que de dépenser notre argent avec Facebook et Instagram à faire des annonces. Comme ça, la valeur reste au Québec, et même si ces gens-là ne s’abonnent pas, au moins ils ont profité d’une dégustation de légumes de nos fermes.

Mohamed Hage

Avec le programme de paniers gratuits, l’homme de 41 ans dit vouloir saisir une « opportunité ».

« Les gens pensent qu’on est fous, dans un monde où tout le monde regarde les coûts et oui, les coûts augmentent pour nous. Mais on est tellement convaincus que ce qu’on fait, ça a de l’allure qu’on est prêts à investir dans nos abonnés futurs. »

Un modèle qui n’a pas encore fait ses preuves

Les fermes intérieures sont relativement nouvelles, il y en aurait autour d’une quinzaine dans la province, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

Et la plupart sont verticales. Lufa est l’une des rares entreprises dans le monde à avoir opté pour un modèle horizontal à un seul étage, qui s’apparente davantage à la culture traditionnelle en serre.

« Le choix de passer à un niveau, c’était pour garder la complexité à un bas niveau, éviter les bris mécaniques, et garder le coût au pied carré raisonnable », explique M. Hage.

Les fermes verticales sont reconnues comme étant très coûteuses et difficiles à rentabiliser. Certaines d’entre elles ont récemment fait faillite aux États-Unis.

« On a été capables d’avoir un coût de construction moins élevé que pour une serre et [on prévoit] des rendements qui sont meilleurs que ceux d'une serre avec des demandes énergétiques moindres et, surtout, sans avoir à chauffer avec de l’énergie fossile »

La ferme intérieure de Lufa a pu bénéficier du tarif préférentiel d’Hydro-Québec pour la photosynthèse des végétaux fixé à 5,98 cents le kilowattheure.

« Toutes nos serres, même si elles utilisent moins d’énergie qu’une serre traditionnelle au sol, elles sont chauffées avec du gaz naturel. Pour nous, de produire 20 000 unités de verdures par jour à longueur d’année sans utilisation de gaz naturel, c’est un gros avancement dans notre mission », dit M. Hage

Avant d'ajouter : « C’est une vraie salade verte ! »