(Saint-Lambert) Les expéditeurs qui sillonnent la Voie maritime du Saint-Laurent considèrent les minéraux essentiels pour les batteries des véhicules électriques comme la clé de leur avenir, mais il pourrait s’écouler un certain temps avant que les vannes ne s’ouvrent pour ces ressources encore largement inexploitées au Canada.

D’ici là, les céréales et le minerai de fer restent prédominants, eux qui ont représenté près de la moitié des 36,3 millions de tonnes de marchandises qui ont transité par la voie maritime l’an dernier.

Le président et chef de la direction de la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, Terence Bowles, a indiqué mercredi s’attendre à ce qu’un million de tonnes supplémentaires de céréales canadiennes descendent le fleuve Saint-Laurent depuis Thunder Bay et d’autres ports de l’Ontario en 2023.

« C’est dans les silos, prêt à être livré […] alors on s’attend à une grosse hausse », a-t-il affirmé mercredi, lors d’une entrevue après la cérémonie d’ouverture de la saison de navigation de la voie maritime.

La guerre en Ukraine prolongera probablement la hausse de la demande pour les céréales et la potasse, a pour sa part estimé le président de la Chambre de commerce maritime, Bruce Burrows. L’Ukraine et la Russie sont d’importants exportateurs de blé, de maïs, d’huile de tournesol et d’engrais, mais les expéditions ukrainiennes ont été entravées l’an dernier par un blocus russe de plusieurs mois — qui a depuis été levé.

Le trafic de minerai de fer reprendra à mesure que les constructeurs automobiles « se remettront sur pied » et que l’activité de construction restera vigoureuse, a prédit M. Burrows, pointant en particulier la région du Grand Toronto.

« Le Grand Toronto est toujours la partie la plus importante et la plus dynamique de l’économie nord-américaine. Il aspire fortement vers lui les projets spéciaux, qui doivent tous être alimentés avec des ressources que nous transportons par bateau », a-t-il affirmé.

Derrière lui, le cargo Captain Henry Jackman, de la compagnie maritime Algoma Central, a fait retentir un coup de sirène avant s’engager dans le fleuve Saint-Laurent, emportant avec lui du minerai de fer, en route vers l’usine ArcelorMittal Dofasco de Hamilton, où il sera transformé en acier.

Les expéditions de carburéacteur à destination de l’aéroport Pearson de Toronto augmenteront également en 2023, alors que l’industrie du transport aérien reprend son envol après plus de deux ans de ralentissement en raison des restrictions de voyage liées à la pandémie de COVID-19, a indiqué M. Burrows.

Les cargaisons de charbon pourraient encore baisser après un recul de 16 % du volume l’année dernière, a-t-il ajouté. « Aucun d’entre nous ne mise sur le charbon dans ses plans d’avenir. »

Transformer la voie maritime en « corridor vert »

À long terme, les expéditeurs et les ports espèrent voir les minéraux critiques constituer une part croissante du fret en vrac pour alimenter le marché en croissance rapide des voitures électriques.

« Il y a une abondance de matériaux essentiels nécessaires à la production de batteries et de véhicules électriques au Canada, et bon nombre d’entre eux seront transférés des sites miniers et des installations par mode maritime », a expliqué M. Bowles aux représentants de l’industrie lors d’un discours à l’écluse de Saint-Lambert, sur la rive sud de Montréal.

Le calendrier reste cependant encore flou.

Le Canada n’en est qu’« à ses débuts » en ce qui a trait au développement du cobalt et du lithium pour les batteries de voitures électriques — des minéraux qui, selon lui, joueront un rôle crucial dans l’établissement de la voie maritime en tant que « corridor vert ».

« Nous ne l’avons pas encore vraiment bien évalué », a-t-il déclaré lors d’une entrevue. Le « grand défi pour le Canada » demeure la mise en activité de pelles minières hydrauliques.

Le pays possède des gisements de la plupart des 31 minéraux critiques répertoriés dans une stratégie présentée en décembre par le ministre des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, mais le gouvernement vise initialement à se concentrer sur les six qui montrent le plus grand potentiel de croissance.

Ceux-ci comprennent le lithium, le graphite, le nickel, le cobalt, le cuivre et le groupe de 17 métaux et minéraux appelés éléments de terres rares.

Il existe déjà d’importantes exploitations minières de nickel, de cuivre et de cobalt, ainsi que de plus petites exploitations de graphite.

Le Canada n’est pas un producteur commercial d’éléments de terres rares, bien qu’il possède certains des plus grands gisements connus. La mine Tanco, au Manitoba, est la seule mine de lithium en activité actuellement, mais au moins une autre est sur le point d’ouvrir au Québec cette année.

La stratégie et les investissements de 3,8 milliards du budget fédéral de l’an dernier visent à encourager de nouvelles activités d’exploration, à accélérer les examens réglementaires et environnementaux, à construire des infrastructures pour soutenir la découverte de nouveaux gisements et à établir des partenariats d’équité avec les peuples autochtones.

Moins d’une semaine avant que le gouvernement fédéral ne dévoile son nouveau budget — et à la veille de la visite du président américain Joe Biden au Canada — la Chambre de commerce maritime a également appelé Ottawa à suivre l’exemple des États-Unis en matière de financement majeur des infrastructures de transport.

L’énorme loi américaine sur la réduction de l’inflation, qui vise notamment le changement climatique, comprend 3 milliards US pour réduire la pollution de l’air dans les ports en installant des équipements à zéro émission. Par ailleurs, le département américain des Transports a affecté 662 millions US au développement des infrastructures portuaires cette année.

« Vous voyez les Américains devancer les Canadiens, a souligné M. Burrows. Où est le Canada ? Nous sommes vraiment portés disparus. »