Alors qu’il prévoit une forte croissance du nombre de bouteilles produites au cours des prochaines années, le président du Conseil des vins du Québec (CVQ), Louis Denault, entrevoit un avenir prometteur en ce qui concerne la place qu’occuperont les produits viticoles d’ici sur les tablettes de la SAQ.

Un accès simplifié

« Je pense que prochainement, il n’y aura même plus d’appels d’offres parce que la SAQ cherche des produits du Québec, lançait avec enthousiasme M. Denault, en marge du congrès Cidres, vins et alcools d’ici qui se tenait à Drummondville, jeudi et vendredi. Si notre vin passe les tests de laboratoire et que le prix n’est pas exagéré, ils vont prendre notre produit. »

La SAQ présente régulièrement à ses partenaires d’affaires ses besoins, notamment en vin. Par exemple, on cherche des vins de macération (orange) européens, des rosés de Provence, des blancs de Nouvelle-Zélande ou des rouges du Québec. Les agents et producteurs qui ont des boissons qui correspondent à la demande soumettent des candidatures. La SAQ les étudie, fait des dégustations à l’aveugle et prévient les heureux élus. Or, les vignerons québécois croient que le processus sera simplifié pour eux.

« Je pense que la porte est beaucoup plus grande ouverte en ce moment pour les vins québécois, estime Matthieu Beauchemin, propriétaire du Domaine du Nival, à Saint-Louis. Si tu as quelque chose qui est vendable et qui est à bon prix, amène-le. »

Actuellement, les produits d’une quarantaine de vignerons québécois se retrouvent sur les tablettes de la société d’État.

Josée Dumas, directrice de la gestion de l’offre et de la mise en marché de la SAQ, reconnaît que la société d’État songe à éliminer les appels d’offres pour raccourcir les délais, mais elle se défend toutefois de vouloir « dérouler le tapis rouge » pour les vignerons québécois. « Il n’y a pas de traitement de faveur », a-t-elle tenu à dire lorsque La Presse l’a interrogée en marge du congrès du CVQ. Elle souligne néanmoins que la demande de produits locaux est grandissante. Pour le moment, ceux-ci représentent 17 % des ventes totales – mais cela inclut les boissons étrangères embouteillées au Québec.

Entente de gré à gré

Certains vignerons choisissent de ne pas placer leurs vins sur les tablettes de la SAQ, pour de nombreuses raisons, dont un volume de production insuffisant. Par contre, si la société d’État leur permettait de vendre des vins dans deux ou trois succursales de leur région, ils le feraient avec enthousiasme.

Cela favoriserait un essor régional, explique Liudmilia Terzi, nouvelle propriétaire du vignoble Beauchemin, situé à Yamachiche, qui se joindrait au réseau SAQ si une telle gestion décentralisée était possible.

C’est ce que souhaite Louis Denault, président du Conseil des vins du Québec.

« Si je veux envoyer mon produit à la SAQ, je dois passer par la machine et envoyer mes produits à l’entrepôt, explique-t-il. Après ça, je peux avoir des vins qui se ramassent à Fermont et je n’en aurai même pas dans ma région. »

Selon Matthieu Beauchemin, du Domaine du Nival, si la SAQ soutenait cette décentralisation, le nombre de vignerons québécois représentés globalement sur les tablettes de la société d’État doublerait.

Lui-même, qui ne vend pas ses vins à la SAQ, y adhérerait.

Cela lui permettrait d’aller directement porter les cuvées de son vignoble de la Montérégie aux succursales de la SAQ près de chez lui où il a un contact privilégié avec les employés qui présenteront ensuite ses vins à leur clientèle.

Ce qui fait peur à plusieurs vignerons qui ne sont pas à la SAQ, c’est le côté opérationnel. La chaîne logistique entre ta bouteille à ton vignoble et le client qui l’achète à la SAQ, pour un vignoble plus petit, géré par une famille et deux, trois employés, ça fait peur. C’est une grosse machine. C’est un gros frein.

Matthieu Beauchemin, propriétaire du Domaine du Nival

Louis Denault vante la LCBO (la société d’État ontarienne) qui permet ce genre d’entente de gré à gré.

« Dans quelques succursales, la LCBO a un accès unique avec les producteurs », dit-il. Les vignerons font analyser leurs vins, comme tous les autres produits, mais une fois que le vin est accepté, que sa conformité est établie, le producteur fait affaire directement avec une succursale.

« Ça fait 5, 6 ans qu’on dit à la SAQ que c’est là qu’il faut aller. Il faut développer ça ici. »

Josée Dumas, directrice de la gestion de l’offre et de la mise en marché de la SAQ, précise toutefois que ce n’est pas du ressort de la SAQ de permettre ces ententes, puisque la loi québécoise ne le permet pas.

Leçon de commercialisation

Vendre le vin québécois est une responsabilité partagée, estime Sébastien Daoust, du vignoble Les Bacchantes, à Hemmingford, dont une partie des cuvées se trouve à la SAQ depuis quelques années.

« On doit travailler tous ensemble pour s’améliorer en commercialisation, dit l’entrepreneur. La SAQ peut mieux nous accompagner là-dedans et les vignerons eux-mêmes doivent établir des compétences en commercialisation. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le prochain défi, maintenant qu’on fait du bon raison et du bon vin au Québec, dit Sébastien Daoust, du vignoble Les Bacchantes, c’est la commercialisation.

Selon lui, le processus de commercialisation des vins québécois a été beaucoup simplifié ces dernières années, car la société d’État comprend la réalité des petits producteurs.

« Je pense que plusieurs personnes s’occupent des vignerons québécois à la SAQ parce que ce sont des petits producteurs. »

Il reste maintenant à aller chercher une part de marché supplémentaire dans ce contexte où la production sera en hausse.

« On a 1 % du marché. Le deuxième 1 % du marché est plus compliqué à aller chercher. »

« Maintenant qu’on fait du bon raisin, maintenant qu’on fait du bon vin, indique Sébastien Daoust, comment fait-on pour le commercialiser de façon structurée, intelligente comme industrie en général ? C’est le prochain grand défi. »